Une nouvelle fois, un arrêt confirme l’exclusion des honoraires du courtier dans le calcul du TAEG. Analyse, décryptage et conséquences pratiques : rencontre avec Me Laurent DENIS – Endroit Avocat.
Eric Debese : cher Maître, cher Laurent, le 6 octobre 2020 (il y a donc déjà 1 an et demi) nous avions eu le plaisir de t’interroger sur le mode de calcul du Taux Annuel Effectif Globale ou TAEG. Une question essentielle se posait pour les Intermédiaires bancaires : les frais d’intermédiation (et surtout : de courtage en crédit immobilier) entrent-ils, ou non, dans l’assiette de calcul du TAEG ? Pour le plus grand plaisir de nos lecteurs IOBSP et celui de leurs clients, tu nous rendais compte d’une série de décisions de justice excluant les honoraires de courtage du TAEG, à condition que le courtage ne soit pas une condition d’octroi du prêt. Une information qui a fait à l’époque beaucoup de bruit et même provoqué des grincements de dents, car la pratique courante des banques est totalement contraire : les honoraires de courtage sont systématiquement inclus au calcul du TAEG. Avons-nous du nouveau à ce sujet ?
Laurent Denis : oui Cher Eric ! Le temps passe et la Jurisprudence… se surpasse ! L’exclusion des frais de courtage du TAEG ne cesse d’être confirmée par les Tribunaux ; à la demande des banques. Nous les en remercions chaleureusement. Toujours le même cas de figure : des emprunteurs contestent le TEG ou le TAEG. Ils l’estiment erroné, notamment en l’absence d’intégration des frais de courtage. Ils font appel. Et les Cours d’appel confirment les arguments des banques qui reprennent très justement les principes du Code de la consommation.
C’est une règle de Droit incontestable : les frais de courtage n’entrent pas dans le TAEG dès lors que le courtage n’est pas une condition d’octroi du prêt (articles L. 314-1 et R. 314-4, 2° du Code de la consommation). C’est limpide. Et unanime, depuis un premier Arrêt de la Cour d’appel de Rennes, le 10 janvier 2020. Deux années de mépris du Droit par les banques françaises, et de désinformation des emprunteurs, sous le regard inerte des Autorités de supervision et de protection des Consommateurs.
Une nouvelle jurisprudence confirmant l’exclusion des frais de courtage dans le calcul du TAEG
ED : et là, voici une nouvelle décision de Cour d’appel, à Caen, venant une fois de plus rappeler cette même règle juridique, désormais sans équivoque ! Raconte-nous !
LD : la Cour d’appel de Caen (du 10 mars 2022, n° 20/00100 pour les amateurs) examine les demandes d’un emprunteur portant sur un prêt accordé par une Caisse d’épargne, en mars 2007. Les emprunteurs adressent plusieurs reproches au prêteur dans le calcul du TEG/TAEG, dont l’absence des frais de courtage dans le TAEG. Point notable : le Tribunal judiciaire à l’origine de la première décision (Caen, décembre 2019) applique correctement la règle ; il confirme le calcul retenu par la banque, excluant les frais de courtage du TEG/TAEG du prêt. Les emprunteurs contestent cette décision en appel.
La Cour d’appel rappelle la règle de Droit ; je cite tout simplement le jugement : « Les frais de courtage doivent donc être intégrés au calcul du TEG s’ils constituent une condition d’octroi du prêt imposée par le prêteur et dont le montant est déterminé ou déterminable lors de la conclusion du contrat de prêt. » Et la Cour d’appel conclut très clairement, je cite encore, sans ajout ni commentaire : « Dès lors, il y a lieu de considérer que le recours à un courtier ne constituait pas une condition d’octroi du prêt imposée par le prêteur. Ils [les frais de courtage] ne devaient donc pas être pris en compte dans le calcul du TEG. »
ED : c’est très clair, c’est bien la règle applicable, que tu exposes depuis 2020. Qu’est-ce que ce jugement apporte de nouveau ?
LD : sur le principe d’exclusion des frais de courtage, rien de nouveau. L’application de la règle d’exclusion des frais de courtage est celle en vigueur dans le Code de la consommation depuis son changement du 1er octobre 2016. Elle est mise en évidence par les décisions des tribunaux. Nous relatons ces décisions.
Premier point nouveau, dans ce jugement du 10 mars 2022, c’est que la Cour d’appel répond à un argument touchant la rémunération du Courtier en crédit par la banque. Elle en précise les conséquences juridiques : « Le fait que la banque rémunère le courtier résulte de l’accord de partenariat conclu et a pour cause comme cela est mentionné sur la facture la présentation d’un client à la Caisse d’Epargne. Ce paiement n’implique pas que le recours au courtage ait été une obligation exigée par la banque. » Voici donc une belle précision supplémentaire : la rémunération du Courtier en crédit par la banque n’implique pas nécessairement que le courtage soit une condition d’octroi du prêt. Une évidence bien utile à signaler.
Autre point nouveau : la Cour d’appel pose comme principe qu’il revient à l’emprunteur, en cas d’erreur supposée de calcul du TAEG en raison des frais de courtage, de démontrer que le courtage faisait partie des conditions d’octroi du prêt. La charge de la preuve incombe donc à l’emprunteur. C’est une difficulté pratique. Et une seconde précision.
ED : cher Laurent… c’est également limpide. Mais en ce cas, pour quelle raison les intermédiaires et leurs clients font-ils encore les frais (pardon pour le jeu de mot facile) dans une majorité de cas pour ne pas dire dans la totalité des dossiers, de l’application erronée de règles pourtant claires de calcul du TAEG ?
LD : en réalité, l’accumulation de décisions judiciaires aussi lisibles devrait se passer de tout commentaire. Nous devrions, même si ce serait bien dommage, être privés tous les deux de cet entretien, à ce sujet du TAEG et des frais de courtage. Ce qui surprend radicalement, c’est l’acharnement forcené des banques françaises à ne pas appliquer le Code de la consommation pour calculer les TAEG des prêts immobiliers. Pour une raison simple : comme souvent, les banques profitent de l’absence (consternante) de tout contrôle sérieux de la part de l’ACPR ou de la DG CCRF sur un point aussi fondamental de la protection des Consommateurs : le juste calcul du TAEG. Les Associations de Consommateurs sont indifférentes. Les banques ne peuvent évidemment plus prétendre ignorer la règle de Droit, puisqu’elles en réclament l’application devant les Tribunaux. Les banques françaises manipulent le TAEG et les règles d’usure pour servir leurs seuls objectifs : faire pression sur les Courtiers en crédit immobilier, tenter (sans succès) de dissuader les emprunteurs de recourir aux services de courtage en crédit. Mais leur position devient de plus en plus intenable. Les banques jouent la montre ; elles perdront « la farce » comme à chaque fois. Que se passerait-il si un emprunteur assignait une banque pour TAEG erroné à la hausse, l’ayant ainsi privé de pouvoir comparer correctement des offres de prêts entre elles ? Ce serait une belle discussion judiciaire.
Des intermédiaires et leurs clients toujours pénalisés par un calcul erroné du TAEG
ED : cette situation constitue un comble…. Très souvent, une difficulté supposée de dépassement illusoire du taux d’usure est agitée… et c’est l’intermédiaire qui est aimablement « prié » de réduire voire de supprimer totalement les honoraires demandés au client, soi-disant pour « faire passer le dossier ! » Où est la logique de protection du consommateur-client ?
LD : la liberté et le droit du Consommateur sont joyeusement piétinés. Quel autre commerce demande au Professionnel de travailler gratuitement au nom du respect d’une règle de Droit qui n’existe pas, dans l’indifférence des Autorités publiques ? Voilà la France bancaire de 2022. En réalité, la dynamique irréversible du courtage en crédit, plébiscité par les Consommateurs, révèle la montagne d’anomalies lourdes cumulée par le marché bancaire français. Cette situation devient un problème profond : une même Autorité de contrôle peut-elle, à la fois, « veiller à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients » ? (article L. 612-1 du Code monétaire et financier). Manifestement : non. Préservation du système et protection des Consommateurs par une même Autorité sont incompatibles. Il est temps de séparer les deux fonctions et d’investir une Entité publique, par exemple la DG CCRF, d’un pouvoir puissant de protection des Consommateurs bancaires.
ED : que conseilles-tu aux IOBSP qui sont confrontés quotidiennement, envers et contre tout, à cette pratique erronée de calcul du TAEG, contraire au Droit applicable ?
LD : il serait opportun que les nouvelles Associations professionnelles représentatives et agréées se mobilisent collectivement et clairement. Je recommande toujours aux IOBSP de ne pas s’exposer individuellement. C’est si facile, pour les banques, de s’en prendre aux Courtiers.
D’abord les IOBSP doivent bien identifier les cas où la règle s’applique. Si le recours à l’Intermédiaire est une condition d’octroi du prêt, ce qui peut par exemple arriver dans la distribution de regroupements de crédits par des Mandataires Non Exclusifs de prêteurs dépourvus de réseaux directs, alors les frais d’intermédiation sont à inclure dans le TAEG.
Dans les cas massivement majoritaires où la règle d’exclusion des frais de courtage s’applique, les IOBSP peuvent adopter deux pratiques simples : acter clairement, par exemple dans le contrat de mandat, que le service de courtage sollicité par le candidat à l’emprunt n’est pas une condition d’octroi du prêt. Et de même, dans les informations nécessairement communiquées à la banque en matière de rémunération, le Courtier-IOBSP peut rappeler que cette rémunération versée par son Client intervient pour une prestation de courtage qui n’est pas exigée par la banque comme condition d’octroi du prêt. Cela laisse un trace écrite incontestable de la situation de la prestation de courtage, en regard des conditions d’octroi du prêt.
Le rôle des associations professionnelles
Les Associations professionnelles représentatives agréées disposent de nouveaux pouvoirs depuis le 1er avril 2022. En particulier : elles peuvent réaliser « des enquêtes statistiques » auprès de leurs Membres, portant notamment sur les « fournisseurs de produits » (personnellement : j’adore le choix de ce terme par la Réglementation, pour désigner les banques ; il est adéquat et prometteur). De plus « L’association […] informe [ses membres] d’éventuelles difficultés constatées sur le marché de l’intermédiation […] qui portent ou seraient susceptibles de porter atteinte aux intérêts des clients […]. » Les Associations peuvent informer l’ACPR des résultats de ces enquêtes, y compris via leur Rapport annuel (nouveaux articles R. 519-44, R. 519-45 et R. 519-58 du Code monétaire et financier).
Je formule un vœu. En cette phase d’ouverture aux adhésions obligatoires et de choix d’Associations par les IOBSP, les Associations professionnelles représentatives agréées pourraient, de manière volontariste, dédier chacune une page de leurs sites internet respectifs à leurs positions sur chacune des anomalies de marché qui nuisent au bon exercice des droits des Consommateurs bancaires et/ou de la liberté du courtage en crédit. En matière de TAEG et de frais de courtage, certaines Associations professionnelles, curieusement rares, affichent publiquement leur action pour voir cette anomalie corrigée par les banques. Toutes les Associations pourraient soutenir l’application du Droit. Et toutes pourraient faire connaître publiquement leurs engagements dans la défense des IOBSP en regard des difficultés d’exercice rencontrées par leurs Membres : frais de courtage et TAEG, mais également : droit d’instruction des demandes de crédit par toute banque, droit à la délivrance systématique d’attestation de refus de prêt, liberté de choix en assurance-emprunteur, pour ne citer que quelques exemples.
Je félicite et soutiens les six Associations professionnelles représentatives agréées pour les IOBSP : AFIB, ANACOFI Courtage, CNCEF Crédit, CNCGP, ENDYA et La Compagnie des IOBSP à l’occasion de la mise en route de leurs nouvelles responsabilités.
ED : Merci Cher Laurent ! Merci pour ton attention à ces questions juridiques, qui prennent une part essentielle dans l’activité commerciale d’intermédiation et de courtage en crédit. Je comprends que la clarté de la règle d’exclusion des frais de courtage dans le calcul du TAEG est incontestable. Les jugements se suivent dans le même sens. Celui de la Cour d’appel de Caen, le 10 mars 2022, affine encore le sujet : la rémunération du courtier par la banque ne veut pas dire que le courtage fasse automatiquement partie des conditions d’octroi du prêt. Et si tel est le cas, la preuve en incombe au client. Deux informations bien utiles. Tu suggères des évolutions dans la défense collective de la profession, que la « réforme » du courtage du 1er avril 2022 et surtout, du 1er janvier 2023, pourrait favoriser. Tu connais de près les difficultés, parfois rudes, des IOBSP. Je salue au passage ta constante mobilisation et ta passion pour défendre, toujours avec optimisme, la liberté de l’intermédiation et du courtage en crédit. J’espère que notre échange suscitera le débat ! À bientôt.
Liens :
- Article par Endroit Avocat du 20 septembre 2020
- Article par Made In Courtage du 6 octobre 2020
- Gazette du Palais spéciale Droit bancaire, n°4 du 8 février 2022, article sur l’intermédiation en opérations de banque
- Arrêt de la Cour d’appel de Caen, du 10 mars 2022, n°20/00100, diffusé par “Doctrine”
- Commentaire de l’Arrêt de la Cour d’appel de Caen, du 10 mars 2022
- CrediTV, émission de juin 2021 consacrée au TAEG