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La rémunération du Courtier en crédit est hors TAEG : examen détaillé d’un changement légal

“Honoraires de courtage : TAEG or not TAEG ?” : Entretien d’Eric Debese avec Maître Laurent Denis, Avocat chez www.endroit-avocat.fr, le 5 octobre 2020

Eric Debese : bonjour Cher Maître et Cher Laurent ! Effervescence, coup de vent et de tonnerre conjugués dans l’actualité juridique de l’année 2020 : ta communication indiquant que les frais payés par un client au Courtier en crédit ne font pas partie du Taux Annuel Effectif Global secoue intensément tous les professionnels bancaires. Les réactions sont incroyables, à la hauteur du sujet. Cette affirmation suscite des commentaires bouillants et même des critiques. S’agit-il d’un coup de bile contre les établissements de crédit français ?

Maître Laurent Denis : bonjour Cher Eric ! J’ouvre le bal : pas de bol, aucun coup de bile ! Cet aspect du maniement pratique du Taux Annuel Effectif Global ou TAEG illustre à merveille le bancal monde bancaire dans lequel nous baignons, notamment en France. Ce système bancaire se caractérise hélas par des traits permanents bien connus : (i) la sur-facturation forcenée des Clients ; (ii) le déséquilibre contractuel ; (iii) des enfreintes au Droit commises par les banques ; (iv) l’inertie des Autorités de contrôle bancaire et l’absence corrélative de toute sanction à ces enfreintes. Bien entendu, toute critique productive des banques nous serait même interdite : le « bank bashing » est un pervers penchant, et bien vilain. Je ne parle même pas de la critique des Autorités de contrôle bancaire : un pur tabou.

Souhaitons en effet que le dénigrement bancaire cesse : en réclamant un système bancaire équilibré, respectueux du Droit en vigueur et dans lequel les banques soient enfin contrôlées efficacement et sanctionnées pour leurs erreurs, au même titre que toute personne. Les banques ne sont pas des boucs émissaires ; elles sont les auteurs protégés par leur Autorité de contrôle des pratiques abusives permanentes qu’elles commettent très visiblement.

Retour sur la création du TEG, en 1966

La mise en œuvre du Taux Effectif Global illustre ce tableau. Rappelons tout d’abord et fort brièvement l’Histoire rocambolesque du Taux Annuel Effectif Global. En 1966, avec le développement du crédit aux particuliers, apparaît la nécessité de réformer le taux d’usure, pour encadrer les abus tarifaires des prêteurs. Le Taux Effectif Global (ou TEG) est inventé à cet effet. Il apparaît en 2008 (Directive 2008/48 CE du 23 avril 2008, articles 3 (i) et 19, annexe I). Jusqu’en 2016, les établissements de crédit, avec le soutien des Autorités publiques de contrôle et avec celui de la Cour de cassation, n’auront de cesse d’imposer les modalités techniques les plus favorables aux banques françaises et les plus défavorables à leurs Clients, les Consommateurs. Le syndrome de la sur-facturation frénétique des Clients. La législation européenne, trop lentement, mais fermement, s’y oppose, redresse le Droit national : la généralisation du Taux Annuel Effectif Global aux crédits aux Particuliers, en 2016, marque le terme des abus de méthode et de gains financiers. Le Droit bancaire français a changé, de force. La méthode du TAEG, harmonisée dans l’Union européenne, redonne de l’équilibre à la relation bancaire.

Parmi les (multiples) modalités pratiques du calcul du TAEG, se pose la question des frais qui entrent, ou non, dans sa composition. Les Courtiers sont particulièrement intéressés par la question de savoir si les frais de courtage et d’intermédiation font, ou non, partie du TAEG.

ED : tu diffusé l’information que les frais de courtage en crédit n’entrent pas dans le TAEG ; mais tu sais évidemment que cette affirmation va totalement à l’encontre de la pratique quotidienne des IOBSP. Les banques imposent de longue date l’intégration des frais de courtage au TAEG. Quelle analyse juridique conduit à une telle affirmation ? S’agit-il d’un revirement de Jurisprudence ?

Une nouvelle définition du TAEG en 2016

LD : c’est très simple. Il s’agit tout bonnement d’un changement de la Loi. Intervenu en 2016, le 1er octobre 2016 exactement, soit quatre années, déjà.

Il y a eu successivement deux définitions légales pour déterminer quels frais entrent dans le Taux Annuel Effectif Global. L’une, la première historiquement, était en vigueur de 1967 jusqu’au 1er octobre 2016. Elle est périmée. L’autre, celle actuellement applicable, est entrée en vigueur depuis le 1er octobre 2016. Collectivement, tous les professionnels du Droit, moi le premier, ont trop peu insisté en 2016 sur cette évolution légale, pourtant fondamentale. 

De 1967 jusqu’au 1er octobre 2016, la condition qui détermine l’intégration d’un coût au Taux Annuel Effectif Global (ou au Taux Effectif Global) est claire pour les Intermédiaires : entrent dans le TAEG tous les  « […] frais […] payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt […] » Dans cette définition, c’est la seule intervention de l’Intermédiaire qui détermine l’entrée du coût de sa prestation dans le TAEG. Passons pudiquement sur la formulation aberrante de cette règle légale, pieusement appliquée pendant un demi-siècle : les Intermédiaires n’interviennent jamais dans « l’octroi » d’un prêt ; seulement dans sa distribution. Cette formulation pataude aurait déjà dû conduire à écarter les frais de courtage du TEG/TAEG.

Cette règle à la formulation juridique grotesque a disparu. À compter du 1er octobre 2016, « sont compris dans le taux annuel effectif global du prêt, […] Les frais payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, lorsqu’ils sont nécessaires pour obtenir le crédit ou pour l’obtenir aux conditions annoncées […] » Dans le Droit en vigueur, le Droit positif, les frais d’Intermédiaire entrent dans le TAEG si le service de l’Intermédiaire fait partie des conditions exigées par le prêteur pour accorder le prêt. Cette condition est essentielle, parmi quatre autres conditions. Elle découle expressément des articles L. 314-1 et R. 314-4, 2° du Code de la consommation et est parfaitement compatible avec l’article L. 322-4 du Code de la consommation, qui impose à l’Intermédiaire de communiquer ses frais au prêteur. Communiquer les frais de courtage ne signifie pas les intégrer systématiquement au TAEG.

ED : tu dis que la règle juridique qui détermine l’intégration d’un coût payé par le Client à l’occasion d’un crédit a changé en 2016 ?

L.D : exactement. C’est aussi simple que ça. Et les banques n’ont évidemment rien changé à leurs habitudes, prises depuis 1966. Sans doute la perspective d’afficher des TAEG plus élevés que ce que prévoit le Droit, en présence d’un Courtier, leur permet d’afficher un TAEG moindre en l’absence de Courtier. Déformant ainsi délibérément le jeu concurrentiel : « qui dit Courtier, dit crédit plus cher. » Voilà le résultat visé. Juridiquement, cette affirmation est fausse. Elle arrange bien les prêteurs. Les banques sont en conflit d’intérêts permanent à l’égard des Clients, surtout des emprunteurs, puisqu’elles sont à la fois producteurs de crédits et distributeurs directs de leurs crédits. En tant que producteurs, elles devraient respecter tous les distributeurs de crédit, comme les Courtiers-IOBSP. Mais en tant que distributeurs, elles sont en concurrence avec ces mêmes Courtiers. Pasteurisant méthodiquement la relation avec leurs Clients depuis au moins deux décennies, les banques-distributeurs n’acceptent pas le succès éclatant de leurs concurrents les Courtiers distributeurs de crédits. En décidant depuis 2016 de maintenir gonflé le TAEG en présence d’un Courtier en crédit, les banques trouvent une manière assez efficace de stigmatiser les Courtiers, leurs concurrents dans la distribution. Au détriment du Consommateur, qui est toujours la variable d’ajustement des caprices bancaires. C’est d’autant plus facile que la supervision bancaire est muette, comme toujours, car sa mission de protection des Consommateurs va à l’encontre de son autre mission, celle de préserver le système bancaire, donc, les banques et leurs pratiques. Tout le monde paie la sécurité du système bancaire, sauf les banques et au prix souvent d’enfreintes juridiques. Heureusement, les Juges civils, notamment ceux des Tribunaux Judiciaire et des Cours d’appel, avec les Avocats, remplissent leur mission : rappeler le Droit applicable.

La vérité juridique, c’est que le TAEG d’un même crédit est identique, que le Client s’adresse à un Courtier en crédit analysant toutes les gammes des crédits d’un marché ou décide de se passer d’un Courtier pour solliciter une Agence directe d’un établissement producteur d’une gamme de crédits.

Calcul TAEG

ED : d’un point de vue économique, n’est-ce pas surprenant de constater que des frais liés au crédit échappent au calcul du TAEG ?

LD : c’est le contraire. D’un point de vue économique, ce n’est pas surprenant que tous les frais du crédit n’entrent pas dans le TAEG. Le Droit n’est pas « la » logique ; il fixe des normes et édicte des règles : il pose les conditions pour que des frais entrent dans le TAEG ; tous les frais qui ne répondent pas à ces critères sont hors du TAEG. C’est la logique juridique. Revenons à l’identité même du TAEG, qui n’est pas un taux, mais un indicateur synthétique de coût. Le TAEG n’a pas pour vocation d’agglomérer tous les frais qui surgissent à l’occasion d’un crédit, mais seulement ceux qui sont imposés au Consommateur pour obtenir le crédit. 

C’est ainsi que la Jurisprudence, puis la Loi, ont décidé, par exemples, que les frais annuels d’information des cautions n’entrent pas dans le calcul du TAEG. Ou encore, les frais d’acte notarié lié à l’acquisition du bien immobilier.

Si les frais de courtage d’un Courtier choisi seul et librement par l’emprunteur devaient entrer dans le périmètre du TAEG, alors tous les frais engagés à la seule initiative du Client durant la recherche du crédit devraient entrer dans le TAEG. Avec quel bénéfice ? Le Consommateur sait parfaitement quelles dépenses il effectue pour son propre compte. Ce dont il a besoin, c’est du coût total du crédit découlant des exigences du prêteur : c’est bien cette donnée qui permet effectivement des comparaisons entre les offres de différents prêteurs.

La vérité économique qu’exprime la règle de Droit en vigueur depuis le 1er octobre 2016, c’est que le coût total d’un crédit obtenu avec le conseil librement choisi d’un Courtier et identique au coût total d’un crédit octroyé sans recours à un Courtier en crédit, donc, sans conseil, puisque les prêteurs ne sont pas tenus à une obligation de conseil en crédit.

2 décisions de Cours d’appels en 2020

ED : que disent exactement à propos de la rémunération du courtier en crédit les Cours d’appels dont tu as identifié les deux jugements ?

LD : les formulations exactes des deux jugements sont ici très instructives et essentielles. Endroit Avocat s’adonne, toujours dans la joie, à la recherche juridique (le terme de « veille » possède un côté somnolent qui s’accommode mal avec l’attention soutenue mobilisée par cette activité). Ce travail régulier s’appuie sur des bases de données juridiques de plus en plus efficaces ; Endroit Avocat utilise principalement l’outil « Doctrine », le site public gratuit Légifrance vient d’amorcer une transformation vers un Droit enfin accessible. Ce processus de recherche vise à détecter les évolutions juridiques, notamment celles qui intéressent les IOBSP et la défense de leurs intérêts. 

Nous avons rappelé les dispositions légales, pour souligner le changement profond de la règle juridique opéré le 1eroctobre 2016. La mention exacte des termes des deux Arrêts des Cours d’appel, de Rennes et de Metz complète utilement la lecture de la Loi hébergée dans les Codes, que nous venons de rappeler. Ce sont les toutes premières décisions judiciaires rendues sur la base des « nouvelles » bases légales applicables depuis 2016.

Voici ce qu’énonce la Cour d’appel de Rennes, par exemple, dans ses termes exacts : « les frais d’un intermédiaire en opération de crédit n’ont à être pris en compte pour le calcul du TEG que dans la seule hypothèse où ils conditionnent l’octroi du crédit » (Cour d’appel de Rennes, du 15 mai 2020, n°17/00004). Plus récemment encore, la Cour d’appel de Metz, use exactement des mêmes termes pour répondre à la question de savoir si des frais de courtage devaient ou non être intégrés par la banque au calcul du TAEG : « […] les frais d’un intermédiaire en opération de crédit n’ont à être pris en compte pour le calcul du TEG que dans la seule hypothèse où ils conditionnent l’octroi du crédit » (Cour d’appel de Metz, du 17 septembre 2020, n°19/00692). Les énoncés des deux jugements sont donc identiques.

La Cour d’appel de Rennes illustre son jugement : « […] rien ne démontre que [la banque] commercialisait ses prêts immobiliers par l’intermédiaire de ce courtier qui n’a de toute évidence été consulté qu’à l’initiative des emprunteurs aux fins de rechercher les meilleures opportunités du marché. […] Il en résulte que les frais de cet intermédiaire ne sauraient être sérieusement regardés comme constituant une condition de l’octroi du prêt, de sorte qu’ils n’avaient pas à entrer dans l’assiette de calcul du TEG. »

La Cour d’appel de Metz analyse de même le cas précis qui lui est soumis : « aucun élément ne permet de constater que le paiement en a été imposé aux emprunteurs par [le prêteur] comme condition du crédit. Il n’est donc pas établi que le recours à cet intermédiaire constituait une condition de l’octroi du prêt, ni qu’[à la] date d’émission de l’offre, [le prêteur] avait connaissance ou pouvait avoir connaissance du montant des frais facturés, de sorte qu’ils n’avaient pas à entrer dans l’assiette de calcul […]. » Dans ce cas, une seconde des trois conditions n’est, au surplus, pas présente : la connaissance des frais à la date d’émission de l’offre.

Les Juges font ici la stricte application de la Loi en vigueur depuis le 1er octobre 2016. Ce n’est pas un revirement ni une évolution de Jurisprudence, ni une tendance automne-hiver 2020, ni une œuvre militante, ni de la prospective. Le texte légal étant parfaitement respecté, la probabilité de cassation (si elle était d’aventure conseillée aux emprunteurs déboutés) s’analyse comme ridiculement faible.

Soulignons que ces jugements d’appel sont prononcés à la demande de banques, en réponse à des Clients qui contestaient le calcul du TAEG. Ce sont les banques elles-mêmes qui demandent au Juge d’appel de constater que les frais de courtage sont hors TAEG, ce que la Cour d’appel confirme en regard du Droit applicable. Les Caisses d’épargne (Arrêt de Rennes) et les Banques populaires (Arrêt de Metz) vont donc assez difficilement pouvoir justifier continuer à intégrer les frais de courtage au TAEG, comme au bon vieux temps. Ce sera tout aussi intenable pour les autres banques.

Il était jusqu’alors très ardu, notamment à l’occasion de Consultations juridiques, de soutenir le Droit pourtant applicable. À présent que la Jurisprudence commence à apporter son utile contribution, il va devenir intenable pour les prêteurs de soutenir que les frais de courtage sont systématiquement inclus au TAEG. Et plus facile pour les Courtiers en crédit de rappeler la règle en vigueur aux établissements de crédit distraits.

ED : comment expliquer qu’une règle de Droit aussi claire ait été méconnue aussi longtemps ?

LD : ce phénomène de déni collectif est assez intéressant. La Jurisprudence ancienne, massive et abondante, était dissuasive. Le pouvoir de la répétition ; la puissance d’évocation de cassation. Alors décrire cette évolution juridique était inaudible depuis 2016. L’enfreinte des banques était si massive, et le risque d’erreur de TAEG (voire : de dépassement du taux d’usure) si menaçant, qu’il était hors de question de faire entendre un quelconque message différent, encore moins contraire. Pour ma part, j’ai exposé le principe (« Droit de la distribution bancaire », 2019, pages 240 à 242), pour l’approfondir par la suite au fil de travaux sur le service de conseil en crédit immobilier. Je profite de ce délibérément rare et prétentieux « Je » pour rappeler que je n’ai ni avis, ni opinion, ni cause à défendre. Je ne suis pas un militant, mais un simple observateur et commentateur du Droit. Un piéton. Je ne pense pas, je ne crois rien et je n’ai pas d’avis. Je ne fabrique évidemment ni la Loi, ni le Code de la consommation, ni la Jurisprudence. Mon travail consiste à en faire état ; seulement. Je suis un intermédiaire entre la norme de Droit et les sujets de cette norme.

Les sites publics sont eux-mêmes vaseux au sujet du TAEG. Celui du Ministère de l’économie (« Bercy Infos Particuliers ») formule la règle ancienne, erronée. Celui de la Banque de France sur le taux d’usure mentionne un article erroné du Code de la consommation. Voilà pour l’information du public. Les Juristes de droit bancaire sont muets : pratiquement tous au service des banques, ils confisquent le Droit bancaire et leurs travaux ignorent superbement l’intermédiation bancaire. À l’appui de leurs savants exposés sur les frais d’intermédiation et le TAEG : des Arrêts de la Cour de cassation de 2004 (plus de quinze années) voire de 1998 (plus de vingt années…) Voilà pour l’information des Professionnels.

Mais voici à présent l’annonce des premières décisions de Justice, à l’été 2020 ; pas un, mais deux Arrêts, qui confirment tranquillement l’application de la Loi en vigueur depuis 2016. Malgré ce pas supplémentaire, les doutes persistent. Le déni et la bronca des banques ne surprend pas ; au-delà de la posture, elles n’articulent aucun argument. Mais les Courtiers ont-ils autant de raisons de se réjouir qu’ils doutent d’informations avérées et aisément vérifiables ? Il faut d’abord se féliciter qu’une règle de Droit soit de mieux en mieux éclairée ; puis, éventuellement, pour les esprits précautionneux, fixer les choses par des approfondissements et par du débat juridique, puis tirer les conséquences de ce processus. Le rejet a priori d’une information n’a aucun sens. La pratique bancaire ne peut pas rester durablement à côté de la règle de Droit. Je propose donc aux Courtiers un courrier standardisé du Cabinet Endroit Avocat, qu’ils peuvent envoyer aux banques de leurs territoires respectifs ; au choix : soit à leur nom, soit anonymement, compte tenu du fonctionnement répressif des banques (lien vers le courrier standard pour les banques).

La conséquence au niveau du calcul du TAEG

ED : quelles sont les conséquences pratiques de ce coup de lumière sur le traitement adéquat des frais de courtage dans le calcul du Taux Annuel Effectif Global des crédits ?

LD : les conséquences pratiques sont évidemment immenses. La toute première devrait conduire collectivement à s’interroger, une fois encore, sur la partialité et sur la faiblesse du contrôle bancaire français. L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (l’ACPR, service de la Banque de France dédié au contrôle des entreprises du secteur bancaire et du secteur de l’assurance) n’a relevé aucune anomalie juridique sur ce point, durant quatre années. Alors que l’ACPR possède également une mission de protection de la clientèle. C’est assez stupéfiant pour en dire long sur l’inadéquation du contrôle bancaire français aux enjeux actuels de contrôle des banques. Le silence de l’Autorité française de contrôle bancaire souligne la nécessité de repenser très profondément ce contrôle bancaire, manifestement dépassé. Il est une illustration concrète de l’impuissance d’Etat.

Deuxièmement, tous les TAEG calculés par les établissements de crédit en intégrant les frais de courtage sont erronés. La Jurisprudence prive les Consommateurs de toute réparation de cette erreur, puisqu’elle a tranché que seuls les TAEG faussement bas devaient être sanctionnés (le Consommateur croyant à tort à un TAEG plus bas qu’en réalité). L’erreur de TAEG portant sur un TAEG plus élevé que son niveau véritable n’est pas punissable, car par un raccourci bien peu convaincant, la Jurisprudence considère qu’une telle erreur n’entraîne aucun détriment pour l’emprunteur ; ou qu’en pareil cas, la banque se pénalise toute seule (Cour de cassation, Civ. 1ère du 12 octobre 2016, n°15-25034). C’est totalement faux. La situation analysée montre à quel point cette Jurisprudence s’inspire d’une analyse erronée. Un TAEG plus élevé peut causer des torts au Consommateur, en lui faisant préférer un prêt au TAEG artificiellement plus bas.

De même, pour les Courtiers, cette erreur de calcul des banques, due à une pratique illégale industrialisée pendant quatre années, leur a déjà porté un tort économique considérable, en gonflant artificiellement les TAEG des prêts proposés par leurs soins. Ce mal est fait ; les Courtiers concernés pourraient rechercher la responsabilité des établissements de crédit pour la concurrence déloyale que matérialise effectivement le choix délibéré des banques de recourir à une telle pratique, contraire au Droit. La base d’une telle action est simple : « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (article 1240 du Code civil).

Pour les Courtiers : attention surtout aux précautions pratiques supplémentaires à bien prendre dans le parcours contractuel. Les échanges avec le Client, tout comme le contrat (de mandat ou de service de conseil en crédit) doivent intégrer des dispositions explicites bien documentées quant au contexte d’intervention du Courtier, pour permettre le bénéfice incontestable (notamment face aux banques) de la règle d’exclusion des frais de courtage du TAEG.

Précisons que l’exclusion des frais de courtage dans le TAEG vaut autant pour le courtage en crédit issu du contrat de mandat de recherche de capitaux, que pour le service indépendant de conseil en crédit immobilier (articles L. 519-1-1 du Code monétaire et financier ou L. 313-13 du Code de la consommation), les deux principaux modes de prestation du Courtier.

De même, l’inadéquation actuelle des règles d’usure en période de taux bas, lesquelles conduisent à évincer des emprunteurs solvables de toute offre de crédit pour cette seule raison, aura bien moins d’effet. Le TAEG revenant à un niveau facialement plus bas, la pression des règles d’usure sera moins sensible. C’est une belle solution à une mécanique qui dérive parfois en outil d’exclusion du crédit.

À présent, les banques qui se complaisent à dénigrer les Courtiers ne pourront plus avancer de surcroît que le TAEG du prêt présenté par le Courtier est plus élevé qu’en cas d’offre directe par la banque. D’autant que nombre de banques utilisent de manière bien peu loyale les travaux réalisés par des Courtiers à des candidats à l’emprunt, afin de proposer à ces derniers leurs seules offres de crédit, en soutenant (à tort) que les emprunteurs ne devront alors aucune rémunération au Courtier (et en les incitant à ne pas acquitter la dette due au Courtier, une vraie prise de risque juridique). La règle de Droit correctement applique contribuera à la saine et loyale concurrence dans la distribution des crédits. Les banques sont tenues d’agir « d’une manière honnête, équitable, transparente et professionnelle, au mieux des droits et des intérêts des emprunteurs. » Voilà ce que nous aimerions voir afficher dans toutes les Agences bancaires directes d’établissements de crédit.

En conclusion : les banques disposent à présent de l’éclairage donné à l’une de leurs pratiques juridiques erronées, à leurs demandes. Voici pour elles une belle occasion de faire acte de modeste contrition, de prouver concrètement leur souci élevé de profond respect du Droit en vigueur, leur attachement à la protection des Consommateurs au moyen d’une information « claire, exacte et non trompeuse » (selon la formulation), ainsi que leur souhait d’équilibre dans la relation avec les Courtiers en crédit. La concurrence n’est pas la guerre ; les Courtiers en crédit ne sont pas les ennemis des banques ; ils sont des professionnels bancaires indépendants qui oeuvrent à l’équilibre de la banque de détail française.

Dans le contexte de la pénible année 2020, la correction immédiate de cette enfreinte juridique collectivement pratiquée à l’échelle industrielle par le consortium des banques françaises posera un acte fort appréciable. Les banques démentiront ainsi le méchant dénigrement dont elles sont injustement accablées.

Éric Debese : merci très chaleureusement Cher Laurent. Il est heureux de savoir que le Droit de l’intermédiation bancaire est, lui aussi, scruté avec grand soin. Ce travail de recherche et d’analyse juridiques ne manquera pas de provoquer de sains débats et il est hautement indispensable que ceux-ci aient lieu. Ils sont nécessaires à une telle question, compte tenu à la fois de son importance et de l’ancrage des pratiques. Et je forme le vœu que ces débats, publics ou non, soient actifs, techniques et précis. Les éléments exposés pour le blog Made In Courtage sont clairs, sourcés et invitent à cette démarche critique. La majorité écrasante des Courtiers aspire effectivement à des relations plus sereines et moins flottantes avec les banques. Ces évolutions et cette Jurisprudence naissante offrent une occasion de clarification qui sera marquante du point de vue des relations entre les banques et les courtiers, car elle porte sur un thème de droit bancaire qui concerne autant les banques, que les courtiers et leurs clients communs, les emprunteurs.

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Laurent DENIS

Maître Laurent Denis 

Laurent Denis pratique et enseigne le droit des affaires et de la distribution bancaire et d’assurance.
ENDROIT AVOCAT  est un prestataire juridique au service des Intermédiaires en banque, en assurance et en finance, tout particulièrement des IOBSP.

Laurent Denis est l’auteur du « Droit de la distribution bancaire » et de « Réussir son crédit immobilier. »
Laurent Denis et Bruno Rouleau (Président de l’APIC) sont les auteurs de « Courtiers en crédits et IOBSP : défenseurs d’intérêts. »

Courriel : laurent.denis@endroit-avocat.fr