Laurent DENIS

La responsabilité du Courtier en crédit et la responsabilité de la banque : identiques ? Non ! Eclairage de Maître Laurent DENIS, Endroit Avocat.

Cher Maître, Cher Laurent, alors que la part de marché des courtiers ne cesse d’augmenter, certains emprunteurs se posent la question de l’intérêt de passer par un intermédiaire. Les éléments de réponse – disons “faciles”, sont connus : gain de temps, obtention de conditions d’emprunt plus favorables qu’en direct… Mais il y a un point méconnu : le Courtier a des devoirs bien différents de celui du banquier. Qu’en est-il exactement ? 

Laurent Denis : cher Eric ! Chers lecteurs de ce blog. Quelle joie de débuter cette rentrée avec un thème aussi fondamental : quelles sont exactement les obligations du Courtier à l’égard du Client ? comment les analyser efficacement ? sont-elles différentes de celles du prêteur ? 

Aujourd’hui, les Courtiers maîtrisent bien la connaissance théorique de leurs obligations dites « précontractuelles », qui sont, en vérité, contractuelles et surtout, légales. Il est toujours utile d’en rafraîchir le souvenir. Je te propose de le faire en commentant le tableau synthétique suivant :

ObligationsContenusCourtiersPrêteursSupports et contrôles
PrésentationInformations sur le Professionnel bancaireApplicableApplicableFiche de présentationDocument d’entrée en relations
DescriptionCaractéristiques essentielles d’un créditApplicableApplicableFISE (crédit immobilier)
ExplicationAdéquation du crédit au profil et aux besoins de l’emprunteurApplicableApplicableFiche interne d’analyse de solvabilité
Mise en gardeAlerte en cas de risque spécifique pour l’emprunteurApplicableApplicableMention dédiée, soit dans la Fiche de solvabilité, soit dans la Fiche de conseil
ConseilRecommandation d’un crédit parmi plusieurs offresApplicableExclueFiche interne de conseil
Sources : Endroit Avocat, d’après le Code de la consommation et le Code monétaire.

Il en ressort trois principaux enseignements :

  • Les obligations du Courtier en crédit et du prêteur (« la banque ») se matérialisent toutes par des informations à délivrer. C’est pourquoi le terme générique, répandu, « d’obligation d’information » est particulièrement creux et malfaisant ; son usage ne permet pas de comprendre correctement ces obligations. Il est nécessaire de les classer selon leurs fonctions (objectifs) et de leur donner des noms compréhensibles, qui ne sont pas systématiquement ceux employés par les Juristes ;
  • Le Courtier en crédit est le seul débiteur d’un devoir de conseil en crédit. Les Courtiers savent bien, désormais, que « les banques » n’ont aucune obligation de conseil en crédit. Leurs obligations s’arrêtent à la mise en garde ; elles n’ont pas à recommander un crédit ;
  • Hors le conseil en crédit, les obligations du Courtier en crédit et du prêteur sont identiques dans leurs natures, mais comportent évidemment dans le détail des informations qui peuvent différer.

La preuve de ses obligations incombe toujours au Professionnel : celui-ci doit se doter des supports qui démontrent la délivrance effective des obligations mises à sa charge.

Cette preuve va devenir encore plus essentielle avec « la réforme du courtage », qui va amplifier le contrôle des pratiques commerciale des Courtiers. 

En s’adressant à un Courtier, le Consommateur dispose donc de plus de sécurité(s) ?

LD : incontestablement. En confiant à un Courtier le soin de porter sa demande à la banque, l’emprunteur bénéficie d’un cadre juridique très protecteur. L’obligation de conseil du Courtier conduit nécessairement à une prestation plus qualitative auprès du Client. C’est un fait. Mais c’est aussi, honnêtement, une responsabilité supplémentaire, une charge de plus : ce n’est pas en vain que les banques refusent farouchement toute obligation de conseil en crédit à chaque réforme législative. Elles refusent la charge du conseil, tout en utilisant pourtant abusivement ce terme. Quelles que soient les opinions sur ce point : c’est le Droit applicable. Le conseil en crédit prodigué par le Courtier est un atout pour le Consommateur.

Mais il est clair que les fonctions respectives des deux Professionnels hiérarchisent leurs responsabilités : le Courtier demeure fondamentalement un Distributeur. Ses obligations sont celles d’un Distributeur. Le prêteur, qui échappe comme chacun le sait à toute obligation de conseil en crédit, reçoit la charge d’obligations qui sont en réalité plus lourdes que celles du Courtier. Prenons l’exemple de l’analyse de la solvabilité, qui est déterminante pour l’obligation d’explication (vérifier la bonne adéquation du crédit au profil de l’emprunteur ; ou « obligation d’explication »). Le Courtier doit certes réaliser l’analyse de solvabilité, mais dans un contexte de distribution. Ce n’est pas le Courtier, évidemment, qui accorde (ou refuse, d’ailleurs) le prêt. La Loi est parfaitement claire : la vérification de la solvabilité préalablement à l’accord de crédit incombe totalement au prêteur. Ce dernier est donc le seul responsable en cas de mauvais endettement de l’emprunteur. Idem pour l’obligation d’explication (exposer les caractéristiques essentielles d’un crédit) : en fait, c’est bien le prêteur qui se trouve, le seul, en situation de produire la Fiche standardisée (la FISE en crédit immobilier, par exemple). C’est le prêteur qui connaît intimement le crédit et en formule l’offre, pas le Courtier bien sûr. La limitation de la responsabilité du Courtier à sa fonction, primordiale, de distributeur, amenuise sa responsabilité civile : s’agissant d’octroi de prêt, la responsabilité du prêteur demeure dominante. L’essor de la distribution bancaire et de son cadre légal spécifique n’a rien changé sur ce plan.

En résumé, le Courtier est un conseil qui n’élabore aucun produit. Le prêteur est un producteur qui ne conseille pas. Sa connaissance profonde du produit de crédit lui confère pourtant une responsabilité supérieure à celle du Courtier.

Pourquoi les IOBSP ne communiquent pas davantage sur ces aspects ? Méconnaissance ? Inquiétude de brouiller le discours commercial ? Pourtant c’est un véritable atout, non ? 

LD : il n’y a pas d’étude sérieuse sur ce point très intéressant. Pour expliquer le constat de la faible valorisation des obligations légales du Courtier à l’égard de ses Clients, nous pouvons avancer l’hypothèse que, parmi les arguments commerciaux, le champ juridique trouve très peu de place. Comme tu l’as toi-même spontanément exprimé au début de notre échange, le gain de temps, peut-être le fait de ne pas débourser de rémunération en cas d’échec de la recherche de prêt, la perspective d’un taux meilleur, ou de conditions d’octroi moins lourdes, ou tout simplement, l’obtention de l’octroi lui-même dans un contexte de crise et de rationnement du crédit industrialisé par la Banque de France et par le HCSF, suffisent largement à convaincre (de plus en plus) les Consommateurs de solliciter des travaux d’un Courtier.

Les obligations juridiques demeurent difficiles à expliquer simplement à un Consommateur, il faut bien le reconnaître. Elles nécessitent des temps de formation et d’analyse pour les Courtiers. Le législateur commet en réalité une lourde erreur lorsqu’il produit des normes juridiques indéchiffrables, peu ou malaisément accessibles, en matière de protection des Consommateurs. Dans ce domaine, le Droit devrait renoncer à ses penchants pour l’ésotérisme et à sa culture forcenée de l’ambigüité pour adopter une présentation claire et une rédaction fluide et explicite. Que vaut un droit des Consommateurs peu lisible ?

Oui, même peu lisible, le cadre juridique du courtage en crédit est protecteur pour les Consommateurs. Et c’est un atout pour les Courtiers, qui peuvent pleinement exprimer leur rôle de conseil et apporter un contrepoint au rouleau compresseur des banques, alors même lorsque celles-ci sont encore trop peu sanctionnées pour les mutilations manifestes et récurrentes qu’elles apportent aux droits des Consommateurs en présence de Courtiers en crédit.

Le Courtier doit non seulement délivrer ses obligations légales, rappelées contractuellement, mais il doit également prouver que celles-ci sont délivrées…

LD : exactement ! C’est une difficulté pratique, mais aisément surmontées par les Courtiers. Il suffit de disposer d’un contrat de mandat de recherche de capitaux (s’agissant d’un Courtier en crédit) complet, couvrant toutes les obligations décrites. Et dont les informations figurant dans chaque partie du contrat sont exhaustivement celles décrites par la Loi. Ceci aboutit à deux conséquences pratiques :

  • Le contrat de mandat de recherche de capitaux comporte plusieurs pièces nécessairement séparées : fiche ou document d’entrée en relations, contrat de mandat lui-même, fiche de collecte des données auprès du Client, fiche d’explication, de mise en garde (si nécessaire) et de conseil (les trois fonctions peuvent s’associer dans une seule fiche). La Fiche standardisée (FISE en crédit immobilier, par exemple) confectionnée par la banque viendra compléter l’ensemble ;
  • Les différentes pièces composant le contrat de mandat de recherche de capitaux sont établies et remises selon une chronologie : elles ne peuvent toutes être produites au même moment. Le contrat de mandat doit être remis au plus tôt. Et, en particulier, la Fiche de conseil en crédit vient, en toute fin de processus commercial, clore celui-ci.

La réforme du courtage arrive à grands pas. Nos lecteurs le savent, nous n’en faisons pas mystère, nous avons tous deux des analyses différentes de ses effets et de ce qu’elle va ou peut apporter, notamment aux Courtiers. Ces débats sont actifs et bien utiles pour éclairer les Courtiers. Parmi les points d’analyse que nous partageons : la réforme mésestime la protection du Consommateur. Le législateur ne devrait-il pas imposer des formats pour chaque obligation précontractuelle de l’IOBSP, des sortes de Fiches Standardisées par obligation ? Est-ce le rôle des associations professionnelles ? 

Laurent Denis : tu soulèves un point crucial. Le droit de la distribution bancaire et du courtage en crédit suppose un peu d’analyse pour être compris. Il n’est pas le même pour les Courtiers et pour les prêteurs. Il n’est guère accessible aux Consommateurs. Et il s’accompagne donc nécessairement d’éléments de preuve. 

Or, très peu de modèles de documents sont fournis par la Loi : celle-ci dit ce qu’il faut faire, mais pas comment le faire. À part la Fiche standardisée (FISE en crédit immobilier, FIPEN en crédit à la consommation, Fiche comparative en regroupement de crédits), aucun autre « standard » de document n’est imposé. Cela donne du travail aux Juristes, mais c’est une source de risque. Bien sûr que le Législateur pourrait se fendre d’un tel travail. Ce serait à la fois utile et pratique. Mais c’est culturellement impensable. La Banque de France/ACPR, dans des « Recommandations » pourrait réaliser ce travail ; de nouveau, c’est culturellement impensable. L’arbitraire dans la sanction s’épanouit d’autant mieux que celui qui sanctionne n’est tenu par aucun cadre précis de référence.

Les Associations professionnelles héritent de cette situation. Elles auront à faire un choix essentiel sur ce point : contrôler les existants chez les Courtiers (avec le risque d’une grande diversité et celui de manques partiels) ; ou imposer leurs standards (avec le risque de s’exposer elles-mêmes en cas de manques). La réponse à cette délicate question dépendra du degré de précision que les Associations fixeront pour leurs contrôles. Un contrôle de conformité juridique très fin nécessitera des références fines. La finesse du niveau de contrôle des Courtiers par les Associations fait partie des questions les plus délicates de la mise en œuvre de la réforme du courtage.

Au final, quelle que soit la réponse fixée pour le niveau de finesse du contrôle de conformité des Courtiers, une évidence s’impose : tant les Courtiers que les Associations professionnelles auront besoin d’un système de référence externe pour valider la mesure de la conformité juridique. Les Courtiers, parce qu’ils ne peuvent se présenter à la demande d’adhésion en laissant leur activité entre les mains d’une méthode d’analyse qu’ils ne connaissent pas. L’adhésion à l’Association professionnelle devient une condition d’exercice de la profession. Sans doute auront-ils même à contester des décisions de refus ou de résiliation d’adhésion… Les Associations, parce qu’elles devront justifier leurs décisions d’adhésion, de refus d’adhésion ou de résiliation. Et à sécuriser les sanctions qu’elles prononceront contre des Courtiers.

En conséquence, la certification de conformité juridique du courtage en crédit par un tiers va devenir essentielle et susciter des offres. Elle conduira, de fait, à l’harmonisation des supports juridiques utilisés par les Courtiers.

Un équilibre subtil est à fixer, entre la production de sanctions contre les Courtiers insuffisamment conformes et la production de cadres de référence précis pour les obligations précontractuelles de ces mêmes Intermédiaires.

Merci Cher Laurent pour cet échange et ton éclairage ! Je rappelle à nos lecteurs qu’ils peuvent nous retrouver sur CREDITV, la 1ère chaîne d’info crédit en France et qu’ils pourront venir assister à tes conférences lors du prochain Salon du Crédit les 5 et 6 octobre prochains !