Maître Laurent DENIS (Endroit Avocat) analyse l’arrêt de la Cour d’Appel de Dijon du 18 nov. 2021 (n° 19/01548) portant sur le devoir de conseil du courtier.
Cher Laurent, encore du rififi dans la jurisprudence en matière d’intermédiation bancaire… et de devoir de conseil du courtier ! Que s’est-il passé à Dijon le 18 novembre dernier ?
Me Laurent DENIS – Bonjour Cher Eric, bonjour à tous ! La Cour d’appel de Dijon s’interroge (à la demande d’emprunteurs, Clients d’un Courtier) : le Courtier en crédit commet-il une faute de conseil en n’informant pas ses Clients des nouvelles conditions avantageuses d’un prêt à taux zéro ?
Oui, selon cette Cour d’appel : le Courtier se trouve en défaut de conseil en n’informant pas ses Clients fin 2015 des nouvelles dispositions applicables au PTZ à partir du 1er janvier 2016, lesquelles étaient alors publiées.
Elle fixe le préjudice causé par le Courtier en crédit, et l’indemnité correspondante à verser aux emprunteurs, au montant du surcoût financier supporté par les emprunteurs.
Le devoir de conseil du Courtier en crédit
Que reproche exactement la Cour d’appel au courtier en crédit ?
Les nouvelles conditions du prêt à taux zéro (PTZ, au 1er janvier 2016), auraient permis aux emprunteurs de financer des travaux, à coût moindre. Les informations relatives à ce PTZ étaient disponibles en octobre 2015.
Or, la promesse est signée le 4 novembre 2015 et le prêt, proposé le 31 décembre 2015. L’acte authentique est signé le 10 février 2016. Le prêt était insuffisant pour financer les travaux réalisés. Les emprunteurs supportent également un coût supplémentaire, consécutif à la fermeture du Plan d’Epargne Logement (PEL), afin de financer les travaux.
La Cour d’appel rappelle qu’ “[…] il appartient au courtier, tenu d’un devoir de conseil auprès de ses clients, lequel doit être adapté à leur situation personnelle et à leurs attentes, de démontrer qu’il s’est acquitté de ses obligations préalablement à la signature du contrat” (de prêt).
Or, les échanges de mails entre le Courtier et les Clients montrent la demande de ces derniers de financer les travaux par l’emprunt, même si cette demande ne figure pas au contrat de mandat.
Aussi, selon la Cour d’appel, le Courtier en crédit “n’a pas respecté son obligation de conseil en omettant d’informer ses clients du dispositif du nouveau prêt éco-PTZ, pourtant plus avantageux dans leur situation particulière.”
N’y vois pas de malice, mais la banque n’aurait-elle pas dû elle aussi informer le client-consommateur ?
Voilà un point très judicieux. Et bien délicat. D’une part, le Courtier-IOBSP passe un contrat avec le Client. Et il endosse au passage des obligations qui comportent une obligation de conseil. La banque n’a pas de contrat avec le Client, pas d’analyse préalable. Seulement l’analyse de la solvabilité et l’émission d’une offre de prêt. D’autre part, le Courtier-IOBSP possède une vision globale, périscopique, du projet du Client.
Au cas présent, le contrat de mandat ne mentionnait pas les travaux, mais ceux-ci ressortaient d’échanges de mails entre le Courtier et les Clients.
Bien que peu et mal motivé, cet Arrêt de Cour d’appel (l’une des premières décisions de Justice qui tire argument de l’obligation de conseil du Courtier en crédit) tire les justes conclusions juridiques du principe de l’obligation de conseil du Courtier en crédit, en vigueur depuis le 15 janvier 2013.
Comment se prémunir d’un défaut de conseil
Comment faire pour se prémunir d’un défaut de conseil ?
Les éléments substantiels du conseil en crédit du Courtier sont :
- recommander au Client “le contrat le plus approprié“,
- motiver les raisons de cette recommandation.
Car : “[Les Courtiers-IOBSP] veillent à proposer de manière claire et précise au client, y compris au client potentiel, les services, opérations ou contrats les plus appropriés parmi ceux qu’ils sont en mesure de présenter. Ils doivent s’abstenir de proposer un service, une opération ou un contrat qui ne serait pas adapté aux besoins du client ou du client potentiel” (art. R. 519-28 du CMF). Et : “[Le Courtier-IOBSP] précise au client, y compris au client potentiel, les raisons qui motivent ses propositions et lui indique comment il a pris en compte les informations qu’il a recueillies auprès de lui” (art. R. 519-29 du CMF)
Le préjudice du défaut de conseil est celui de la perte de chance “d’obtenir un prêt travaux à des conditions plus avantageuses”. Son montant équivaut au surcoût financier supporté par les emprunteurs. Le préjudice moral n’est pas démontré. Le défaut de conseil n’entraîne (fort heureusement) pas le remboursement de l’honoraire versé au Courtier.
Pour ce prémunir du risque de défaut de conseil, c’est bien simple : le Courtier en crédit doit disposer d’une Fiche de conseil en crédit. Suffisamment bien construite pour qu’elle reprenne en compte tous les besoins et les souhaits exprimés par le Client.
Pas de Fiche de conseil, pas de preuve, pas de conseil.
Et chaque Courtier en crédit doit cultiver le réflexe que tous les échanges hors du contrat de mandat sont à prendre en considération. Dans un litige, ils produisent des effets de droit considérables.
Rappelons notre proposition : la mise en conformité des méthodes du Courtier en crédit peut également apporter des avantages au Courtier. Mettre en conformité les pratiques commerciales, c’est répondre simplement à la Loi, qui protège le Client. Il est cependant possible de “profiter” de cette action de mise en conformité pour protéger, aussi, les intérêts du Courtier.
Le temps où le contrat de mandat délimitait le périmètre d’intervention du Courtier est définitivement révolu.
Merci Laurent pour ton éclairage !