Décidément, les mesures du Haut Conseil de Stabilité Financière (HSCF) auront fait couler beaucoup d’encre : mais quelles conséquences pour les IOBSP ? Revue de détail avec Laurent DENIS – Endroit Avocat !
Eric Debese : cher Maître, Cher Laurent ! Les si fameuses mesures du Haut Conseil de Stabilité Financière t’ont plongé dans la plus grande effervescence… Tu t’es fort justement demandé si ces nouvelles normes d’octroi de crédit immobilier aux Particuliers, devenues juridiquement contraignantes le 1er janvier 2022, ont un impact sur l’Intermédiaire bancaire, Courtier en crédit ou Mandataire de banque et sur ses obligations. Est-ce le cas ? Comment ces normes du HCSF sont-elles arrivées ?
Laurent Denis : Cher Éric ! Qu’est-ce qu’un crédit immobilier au Consommateur excessif ? Fichue question. Les réponses des attentifs lecteurs du blog « Made In Courtage » sont les bienvenues !! Ce qui est certain, c’est que la responsabilité de l’IOBSP, Mandataire de banque ou Courtier, peut être engagée s’il participe la souscription d’un crédit immobilier excessif.
Nombre de Professionnels ont vécu l’irruption de ces normes du HCSF pour ce qu’elles sont effectivement : un dispositif de restriction du crédit immobilier aux Particuliers. De surcroît : un dispositif assez mal fondé, puisque qu’aucun des indicateurs disponibles (taux d’endettement des Ménages français, niveau et évolution des crédits immobiliers douteux, voire : surendettement des Particuliers) ne confirme les motivations « macroprudentielles » avancées par le HCSF.
Pour couronner le tout, ces « normes » du HCSF sont imposées sans aucun débat, sans aucune discussion ; ni sans aucune précision ni indication pour aider à leur bonne mise en œuvre. En particulier, ces normes sont livrées sans les éclairages nécessaires quant à leur impact sur les obligations des Professionnels, telles que les obligations précontractuelles des Intermédiaires bancaires.
Donc oui, c’est bien le cas : les normes d’octroi de crédit immobilier aux Particuliers édictées par le HCSF enclenchent des conséquences immédiates sur les obligations des IOBSP.
HCSF : des conséquences sur les obligations des IOBSP
ED : rappelons sommairement ces normes d’octroi de crédit immobilier aux Particuliers, obligatoires depuis le 1erjanvier 2022, à la suite d’une Décision du HCSF de septembre 2021 (voir lien en fin d’interview). L’octroi de crédit immobilier aux Particuliers ne doit pas se faire en dépassant 35% de taux d’effort à l’octroi (« taux d’endettement » dans la terminologie courante) ni une durée initiale de prêts supérieure à 25 années (27 années en cas de travaux). Les deux critères sont cumulatifs. Les dérogations à ces deux critères d’octroi ne peuvent dépasser 20% de la production de prêts, dont 16% pour les primo-accédants. Quelles sont les conséquences juridiques de ces normes d’octroi ? Quel est l’objectif des normes du HCSF ?
LD : la première des conséquences, c’est que nous sommes à présent pourvus d’une définition juridique du caractère excessif du crédit immobilier aux Particuliers.
Depuis le 1er janvier 2022, deux choses sont advenues :
- La définition (française) juridique d’un crédit immobilier excessif aux Particuliers est à présent connue : c’est un prêt qui soit dépasse 35% de taux d’endettement, soit dépasse 25 années de durée initiale. Avec toutes les imprécisions possibles : modalités de calcul du taux d’effort à l’octroi (« taux d’endettement ») ? les prêts au-delà de ces critères mais dans l’enveloppe « de flexibilité » de 20% de la production (donnée inconnue, non publique) sont-ils excessifs ?
- Le HCSF a imposé « discrétionnairement » (c’est la méthode qu’il revendique) des normes d’octroi visant la protection des emprunteurs. Mais il y avait des normes déjà en place, à cette fin : celles qui sont délivrées notamment par les IOBSP. Les normes du HCSF piétinent les normes existantes.
C’est la deuxième principale conséquence. Ces normes d’octroi du HCSF viennent percuter des obligations juridiques qui possèdent exactement la même fonction qu’elles. Car ces normes du HCSF visent à « […] prévenir un endettement excessif des agents économiques […] » Pour des Particuliers ou des Ménages elles servent donc à protéger les emprunteurs Particuliers contre le risque d’endettement excessif.
Or, les obligations précontractuelles existantes ont également pour objectif de prévenir le risque d’endettement excessif des emprunteurs. C’est le cas de l’obligation légale de mise en garde en crédit immobilier. Et, bien entendu, c’est la fonction également de l’obligation de conseil du Courtier en crédit immobilier.
Protéger l’emprunteur d’un crédit excessif
ED : les normes du HCSF ont donc la même fonction que les obligations précontractuelles de l’IOBSP : protéger l’emprunteur d’un crédit excessif. L’évolution du droit en matière de protection des emprunteurs immobiliers contre le crédit excessif est assez saisissante. Tu en détaille le parcours juridique dans un article complet, librement accessible sur internet (voir lien en fin d’interview). En principe, l’IOBSP pourrait ne pas se sentir concerné par les normes d’octroi du HCSF. Il n’octroie pas de crédit et agit dans son champ d’expertise : la distribution du crédit. En quoi l’IOBSP est-il concerné par les normes du HCSF ?
LD : la responsabilité de l’IOBSP est toujours limitée à ses obligations, légales, réglementaires, jurisprudentielles et sans doute, prochainement, déontologiques. Aucun doute : l’IOBSP ne décide pas le crédit. Ceci est en effet la fonction souveraine du prêteur, au titre de ce qui est inexactement souvent présenté comme un effet du « monopole » bancaire.
Mais l’Intermédiaire bancaire se positionne entre les intérêts du Client, de l’emprunteur, et ceux du prêteur, la banque. L’IOBSP n’est pas un tuyau neutre qui véhicule le crédit de la banque vers le Client. Il représente une valeur ajoutée, commerciale, de risque et juridique. Ce positionnement passe par des obligations juridiques dites précontractuelles, en référence au contrat principal de crédit. Et par la conservation soigneuse des preuves de leurs délivrances.
L’IOBSP ne doit pas contribuer à la délivrance d’un crédit immobilier excessif aux Particuliers. Sinon, il se place en risque, en cas de difficulté de remboursement du crédit. À présent que la notion de crédit immobilier excessif est imposée de manière « contraignante » comme tout crédit immobilier, soit dont le taux d’effort est supérieur à 35%, soit dont la durée est supérieure à 25 années, soit les deux, l’IOBSP, avec une tolérance de 20% de la production du prêteur, l’IOBSP doit prendre des précautions particulières dès lors que le crédit proposé dépasse l’une de ces deux normes.
HCSF : Les dispositions que doit prendre l’IOBSP
ED : ton premier article détaillé (voir notes en bas de page) montre la grande confusion dans les obligations précontractuelles, en particulier de mise en garde en crédit. Le deuxième article montre que l’IOBSP a tout intérêt à adapter son schéma juridique, à la fois en raison de cette grande confusion normative et des normes contraignantes du HCSF. En pratique : quelles dispositions simples peut prendre l’IOBSP ?
LD : pour les prêts immobiliers aux Particuliers dépassant l’un des deux plafonds, ou les deux, les Intermédiaires bancaires ont tout simplement intérêt à ajouter ces situations à leur liste des « risques spécifiques » qu’un « contrat de crédit peut induire » pour l’emprunteur solvable. Les IOBSP délivreront en pareil cas l’obligation légale de mise en garde (celle de l’article L. 313-12 du Code de la consommation : voir : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032315994). Ils garderont la preuve, au moyen d’une fiche, de la bonne délivrance de cette obligation.
Les prêts qui dépasseront l’un des deux critères du HCSF et qui se trouveront hors de la marge de flexibilité de 20% de la production sont, tout bonnement, non identifiables par l’IOBSP, qui n’a pas à connaître la manière dont le prêteur pilote cette enveloppe. Les sanctions envisagées en cas de dépassement concernent d’ailleurs seulement le prêteur.
Le Courtier-IOBSP en crédit, seul pour l’heure débiteur d’une obligation de conseil (art. R. 519-28 et R. 519-29 du Code monétaire et financier) aura tout intérêt à exposer clairement, dans sa fiche de recommandation en crédit immobilier, la situation de l’emprunteur et la proposition de crédit formulée, en regard des normes du HCSF. Voire : en précisant les modalités d’application de ces normes par tel ou tel prêteur. Comme antérieurement, le Courtier doit motiver les raisons de sa recommandation de crédit. L’exposé explicite de la situation de l’emprunteur en regard du dépassement des « normes » du HCSF, lors de la délivrance de l’obligation légale de mise en garde, et de celle de conseil en crédit immobilier, est apte à assurer la sécurité juridique du Courtier-IOBSP, autant que la protection de l’emprunteur.
Les Mandataires d’établissement de crédit sont assez rares, en crédit immobilier. Et la décision du HCSF ne vise heureusement pas « les regroupements de crédits » dont la fonction est bien différente des nouveaux prêts immobiliers d’acquisition.
Observons un effet collatéral cocasse : les normes du HCSF relancent, sans doute malgré elles, la question de la généralisation de l’obligation de conseil en crédit immobilier. En effet, pour la première fois sans doute dans la longue Histoire bancaire, les prêteurs sont tenus de s’abstenir d’octroyer certains crédits, y compris à des emprunteurs solvables. Cette obligation d’abstention d’octroi de crédit est l’une des caractéristiques du conseil en crédit. Voici donc les banques entrées dans une forme de conseil en crédit.
IOBSP et obligations précontractuelles
ED : et lorsque le prêt immobilier est en dessous des deux plafonds, de 35% et de 25 années ? Lorsque le prêt proposé respecte les deux critères ? Et en cas de refus de prêt ?
LD : au stade actuel, le HCSF impose sa définition du crédit immobilier excessif. Mais sa norme est fragile. Et fruste. Techniquement, rien ne permet évidemment d’être certain que tous les crédits immobiliers respectant ces deux critères cumulés ne sont pas excessifs. Encore moins d’affirmer que tous les emprunteurs parviendront à rembourser sans incident tous les prêts respectant les critères d’octroi. Et si les IOBSP sont tenus, par force, d’adopter la norme du HCSF, nul ne sait ce qu’en feront les Tribunaux civils. Les Juges seront nécessairement confrontés aux critères du HCSF, car les Particuliers en sont amplement informés. Les prêteurs et même le IOBSP pourront s’en prévaloir, légitimement. Mais les Tribunaux peuvent choisir d’ignorer des critères du HCSF.
En conséquence, la délivrance des obligations précontractuelles, auxquelles les IOBSP sont maintenant bien rôdés, continue de s’imposer. Leur cadre permet d’intégrer efficacement le cas particulier des prêts hors des critères. Lorsque les prêts immobiliers proposés respectent les deux conditions cumulatives de taux d’effort et de durée initiale, alors la délivrance de la mise en garde n’est pas nécessaire, du moins à ce titre en l’absence de « risque spécifique » (le prêt peut présenter d’autres risques spécifiques). Pour le Courtier-IOBSP, il peut être utile d’intégrer ces critères parmi les motivations données pour la recommandation en crédit.
Pour finir, les IOBSP demeureront très attentifs à la gestion des refus de prêts : bien tracer les demandes déposées, leurs dates exactes et les refus obtenus, sous toutes leurs formes ; veiller à informer le Client avant la date d’échéance de la condition suspensive ; produire les justificatifs nécessaires, surtout lorsque les prêteurs refusent de les communiquer.
ED : en résumé, il est prudent pour l’IOBSP, Courtier ou Mandataire de banque, de prendre des dispositions particulières, lorsqu’il propose un crédit immobilier à des Particuliers, soit au-delà de 35% de taux d’endettement ou taux d’effort, soit pour une durée de plus de 25 années, soit dans les deux cas bien sûr.
LD : exactement. Il est prudent pour les IOBSP d’analyser les conséquences des hautes normes du Haut Conseil de Stabilité Financière en crédit immobilier aux Consommateurs devenues des contraintes juridiques au 1er janvier 2022. En utilisant le cadre juridique déjà existant, celui des obligations précontractuelles, notamment l’obligation de mise en garde en crédit immobilier et l’obligation de conseil du seul Courtier-IOBSP. Ceci permet à l’IOBSP de s’adapter tranquillement à cette nouvelle définition du crédit immobilier excessif, très maladroite et bien mal agencée avec celles déjà existantes.
Eric Debese : merci Cher Laurent, pour cette réflexion et pour ses conclusions très claires. Je suis certain que chaque IOBSP trouvera intérêt à l’approfondir, à la lecture des articles détaillés et à conduire sa propre analyse à partir des informations qu’ils contiennent.