Bientôt une année d’existence pour le droit de choisir librement l’assurance emprunteur d’un crédit immobilier. Mais sans grande réalité effective. Selon Maître Laurent Denis, des mesures beaucoup plus vigoureuses sont nécessaires pour permettre aux emprunteurs d’exercer librement ce droit au libre choix de leur assurance emprunteur.
Le 7 décembre 2018.
Dans cet entretien pour les lecteurs de Made In Courtage, Eric Debese fait le point sur ce sujet avec Maître Laurent Denis (www.endroit-avocat.fr), Avocat dont l’activité est principalement tournée vers les Courtiers et les IOBSP. Partons en plongée dans le droit bancaire et assurantiel, sans filtre.
Eric DEBESE : Cher Laurent, une année bientôt après l’entrée en vigueur de la disposition autorisant la résiliation annuelle de l’assurance emprunteur, l’exercice de ce droit paraît bien mou. Que s’est-il passé ? Le droit de la consommation bancaire est-il sans force ?
Laurent DENIS : Cher Éric, le droit de l’emprunteur, du consommateur, au libre choix de l’assurance emprunteur, mérite de figurer à tout jamais comme l’une des plus calamiteuses expériences du Droit bancaire français.
Le marché de l’assurance emprunteur représente environ 6 milliards d’euros annuels de cotisations en crédit immobilier (9 milliards au total) et concerne 8 millions d’emprunteurs.
Sa situation est inédite : le produit vendu deux fois plus cher représente près de neuf ventes sur dix. 87% du marché aux mains des prêteurs, des banques.
En 2018, les demandes de résiliation demeurent terriblement faibles, au détriment des consommateurs.
La résistance des banques à accepter l’évolution du marché vers la liberté du consommateur est, tout simplement, consternante. En revanche, elle n’est évidemment pas surprenante : telle est la conception pitoyable qu’ont les établissements de crédit de la relation avec leurs clients. Une relation de domination. Donc, comme cette résistance était parfaitement prévisible, c’est surtout la mollesse de la transition vers la liberté de choix de l’assurance emprunteur qui frappe. Les Autorités publiques chargées de la supervision bancaire font preuve d’une inaction incroyable et, pour tout dire, inacceptable. Elles ne remplissent pas leur mission.
ED : comment est-ce possible ? Les Autorités de supervision bancaire n’ont-elles pas en charge également la protection des consommateurs ?
LD : c’est juste ! mais cette noble mission, apparue d’ailleurs tardivement, vient en conflit frontal avec celle de veiller « à la préservation de la stabilité du système financier » (les deux missions centrales de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, selon l’article L. 612-1 I du Code monétaire et financier). L’ACPR se trouve parfois en situation de conflit d’intérêts, car la stabilité du système financier peut contrevenir à la protection des intérêts des clients. Manifestement, la protection des consommateurs n’est pas en tête des priorités. D’ailleurs, il est notable d’observer que la protection des consommateurs ne figure aucunement dans le libellé qui désigne l’Autorité de supervision bancaire : dans « A », « C », « P » ou « R », rien ne concerne la protection du consommateur.
ED : cette appréciation n’est-elle pas un peu trop dure ? L’ACPR a pris position à plusieurs reprises. Encore récemment, en publiant l’avertissement adressé à une banque.
LD : c’est tout le contraire. Les pouvoirs publics délivrent ici le service minimum. Les injonctions sont faibles et tardives. Elles ne prennent absolument pas en considération la situation de fait : la guérilla méthodique et énergique lancée par les banques pour freiner, pour retarder, pour contester même, le libre exercice du choix de l’assurance emprunteur. La mise en garde, publiée seulement le 3 octobre 2018, est d’une faiblesse comique : tardive, elle préserve même le nom de l’établissement bancaire concerné. Rien ne justifie cette anonymisation ; au contraire ! Ce sont de petites réprimandes, là où le bon dosage de l’action publique réclame de la fermeté, de la rapidité, bref, du volontarisme. Clairement, les Autorités publiques accompagnent la résistance des banques.
Dans le même style, il aura fallu une année au Comité Consultatif du Secteur Financier (CCSF) pour répondre à une question simple : quelle est la date à prendre en compte pour respecter le délai de deux mois à la résiliation annuelle ? L’avis du CCSF du 27 novembre 2018 la fixe cette date : la date anniversaire de la signature de l’offre de prêt (voir un modèle-type de courrier de résiliation). Tout est fait pour retarder les incitations à appliquer la liberté en assurance emprunteur.
ED : pourtant, le Conseil constitutionnel a consacré le droit à la libre résiliation de l’assurance emprunteur.
LD : le syndicat professionnel des banques françaises conduit l’action de démolition systématique du droit au libre choix de l’assurance emprunteur. Il n’a pas hésité à saisir le Conseil constitutionnel, sur ce point. Pour se prendre un gros râteau en retour. Le 12 janvier 2018 marque enfin une belle évolution du Droit bancaire français vers l’équilibre. Avec le jugement QPC 2017-685 du 12 janvier 2018, le Conseil constitutionnel a jugé que la résiliation annuelle de l’assurance emprunteur respecte les droits et libertés garantis par la Constitution.
D’ailleurs, le Conseil constitutionnel ajoute même qu’un tel droit est « source d’un meilleur équilibre » entre consommateurs et banques.
Mais un droit sans mesures effectives et musclées d’accompagnement reste théorique et vaporeux. Voilà la glorieuse situation française en assurance emprunteur.
ED : la résistance se poursuit ? les banques ont également sollicité le Conseil d’Etat pour contester cette fois des normes diffusées par l’ACPR.
LD : bien sûr, le refus de cette liberté à leurs clients ne connaît pas de limite. La décision du Conseil constitutionnel n’a pas désarmé les banques. Parmi ses timides actions, l’ACPR a émis une Recommandation, à valeur normative, concernant l’assurance emprunteur : la Recommandation ACPR 2017-R-01 du 26 juin 2017.
Le syndicat des banques françaises n’a pas hésité un seul instant à contester cette Recommandation de l’ACPR, qui précise les obligations pratiques des banques en vue de faciliter l’exercice du libre choix de l’assurance emprunteur. Cet entêtement en dit long quant à l’état d’esprit des banques.
Il se solde par un nouvel échec judiciaire pour les banques françaises ; la décision du Conseil d’état (413667 du 22 octobre 2018) confirme les obligations posées par l’ACPR. Donc, les IOBSP peuvent attendre des banques qu’elles appliquent les modalités détaillées de cette Recommandation de 2017 (…), dont elles ne peuvent priver les clients.
Pour en décrire quelques détails :
- le délai de 12 mois après la signature du contrat de crédit n’est plus opposable à l’emprunteur dès lors que ce dernier a formalisé sa demande, même si le dossier est incomplet ;
- la banque doit préciser les documents ou informations manquants afin de pouvoir considérer la demande comme recevable, dans un délai de 2 ou 3 jours ouvrés ;
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la banque ne peut subordonner le traitement de la demande d’assurance externe à un déplacement en agence ;
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la banque doit communiquer systématiquement par écrit à la personne ayant formulé une demande d’assurance externe (…) le résultat de l’analyse de l’équivalence du niveau de garanties ;
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la banque doit s’abstenir de présenter le choix de l’assurance externe comme étant de nature à mettre en difficulté l’emprunteur en cas de survenance d’un sinistre.
ED : l’année 2018 aura été marquée à la fois par la consécration de la liberté en assurance emprunteur et par la contestation de ce droit. Au final, ce droit au choix de l’assurance emprunteur demeure peu utilisé ; les demandes constatées restent faibles…finalement, ce droit ne peut se mettre en place sans l’action des banques et celles-ci ne peuvent y parvenir correctement sans obligations claires et fortes ?
LD : exactement ! bien peu a été fait pour rendre l’assurance emprunteur vraiment libre. Or, la consommation bancaire n’a rien à gagner à rester dans un système quasi féodal ; le Droit bancaire doit progresser en maturité. Et il n’est que temps de passer à la promotion active de cette liberté, essentielle à l’équilibre contractuel dans la consommation bancaire. Depuis 2017, la Loi (n° 2017-203 du 21 février 2017) a étendu la faculté de résiliation et de substitution du contrat d’assurance emprunteur tout au long de la durée du prêt immobilier (article L. 313-30 du Code de la consommation). En 2019, il serait temps que cette « faculté » s’applique.
Les mesures efficaces sont aisées à identifier. En voici seulement quatre :
- les conventions de partenariat entre les banques et les Courtiers en crédit immobilier et avec les IOBSP devraient contenir le rappel du libre choix de l’assurance par l’emprunteur. Les banques doivent inciter les Courtiers, par ces conventions, à présenter systématiquement leurs droits aux emprunteurs ;
- naturellement, l’augmentation de la taxe « spéciale » sur les contrats d’assurance (la TCAS, article 991 du Code général des impôts), prévue par l’article 52 du projet de Loi de finances, n’ayant pas de justification (outre empêcher financièrement les emprunteurs de choisir une nouvelle assurance emprunteur), doit être rapportée. Si elle venait à s’appliquer, elle devrait concerner tous les contrats d’assurance emprunteur, mêmes ceux en assurance de groupe antérieurs au 1er janvier 2019. Nous croyons comprendre que l’ambiance est plutôt au gel des augmentations fiscales en tout genre ;
- les banques devraient procéder à une information massive et générale des clients adhérents à leurs assurances de groupe, de la possibilité de changer d’assurance emprunteur ;
- et bien sûr, les banques doivent délivrer l’obligation de conseil en assurance. En effet, le Droit des assurances pose que l’obligation de conseil est permanente, durant toute la vie du contrat. Les banques ont, forcément, remis une fiche de conseil au moment de la souscription de l’assurance emprunteur de groupe (sourire)… s’exposant, sinon, à des contentieux judiciaires. Elles doivent à présent compléter ce conseil en conseillant les emprunteurs quant à leurs droits, au moyen d’un nouvel acte de conseil. Les nouveaux articles du Code des assurances en matière de conseil (transposition de la Directive Distribution d’Assurances) vont dans ce sens. Ceci va dans le sens d’une obligation de conseil généralisée à délivrer par les banques.
Une fois de plus, l’assurance emprunteur confirme que les banques françaises bénéficient d’un système de supervision dépassé, peu réformé, communiquant mais peu ouvert, qui surveille un système bancaire épuisé et inadapté. Le conservatoire du littoral bancaire est en pleine forme. Il n’échappera pas à l’évolution vers une consommation bancaire équilibrée et responsable, respectueuse des Clients et de tous les Professionnels bancaires.
ED : merci Laurent pour ces réflexions, mais aussi pour ces conseils pratiques. Les IOBSP peuvent non seulement s’appuyer sur la décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 2018, mais également sur la Recommandation ACPR 2017-R-01, à présent confirmée par le Conseil d’État.
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