Bruno ROULEAU, Consultant et Directeur des partenariats chez In&Fi Crédits, et Laurent DENIS, Avocat chez Endroit Avocat, répondent aux questions d’Eric DEBESE, pour Made In Courtage, quelques semaines après la parution de « Courtiers en crédits et IOBSP : défenseurs d’intérêts ».

Entretien réalisé le 6 août 2018

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Courtiers en crédits et IOBSP : défenseurs d’intérêts

Eric DEBESE : Bruno, Laurent, vous venez tout récemment de faire paraître un livre au sujet inusuel, puisqu’il porte sur les courtiers en crédits et sur les IOBSP ; ce sujet reste, curieusement, fort rare dans la littérature économique ou juridique. Sa parution suscite beaucoup d’enthousiasme, nous l’avons vu sur les réseaux sociaux, dans les commentaires. Un livre inattendu très attendu, en quelque sorte… Comment est née l’idée de le réaliser ?

Bruno ROULEAU : tout d’abord, avec le constat qu’il n’existait aucune analyse portant sur les racines du métier, ses origines, son parcours, ses difficultés à émerger. Et surtout, avec l’intuition que le secteur du courtage en crédits entrait dans une phase de restructurations particulièrement active, non pas pour purger des difficultés, comme c’est souvent le cas, mais pour structurer sa forte croissance future. Nous voulions réaliser le portrait d’une profession et donner la parole à ceux qui la composent. Ils ont largement répondu à l’appel !

Laurent DENIS : les courtiers en crédit et les IOBSP sont les professionnels en verre du secteur bancaire. Maintenus dans un état de transparence, ils en sont les grands anonymes. Alors que ceux-ci ont profondément renouvelé la distribution comme la consommation bancaires, à des niveaux inégalés historiquement, ils sont pratiquement absents de toutes les analyses économiques ou juridiques, de l’enseignement comme des débats. Cette situation constitue, en soi, une curiosité. C’est même franchement suspect. L’ombre des banques accapare, voire inhibe et étouffe le secteur bancaire. Il est indispensable de restituer aux IOBSP la place qui est à présent la leur, dans l’économie bancaire contemporaine.

ED : à quoi sert de « tirer le portrait » d’une profession ?

BR : très banalement, la bonne connaissance du passé détermine largement les stratégies à appliquer. Le passé inspire les bons choix et leur procure des références. De même, l’identification et l’analyse des facteurs de succès dans cette profession permet à tous les professionnels de mieux se situer, d’ajuster leurs pratiques. C’est le cas notamment pour la marche vers la distribution bancaire digitale, dans laquelle les IOBSP sont précurseurs.

LD : dans cette approche, la bonne compréhension du « déterminisme juridique » que comporte à présente la profession d’IOBSP est essentielle. Or, le travail pédagogique, pour que chaque IOBSP comprenne bien les enjeux de Conformité juridique dans leurs justes contours, est une tâche récurrente, de chaque instant. D’abord, parce qu’il s’agit d’un droit récent, donc qui reste en transformation. Ensuite, parce qu’il s’agit d’un droit encore bancal, pas aussi accessible qu’il le devrait, qui réclame des ajustements volontaristes et ambitieux.

C’est par le droit que la profession d’IOBSP a connu son émergence. C’est par le droit que les IOBSP pourront apporter à l’économie bancaire tout leur potentiel, à condition que celui-ci ne soit pas entravé.

ED : quels principaux enseignements tirez-vous de l’analyse réalisée ?

BR : c’est assez simple : le courtage en crédits est aujourd’hui entravé. Il ne nous appartient pas de déterminer si ceci résulte d’une stratégie construite, ou seulement d’une distraction légère et ponctuelle. Peu importe, d’ailleurs c’est indifférent ; mais telle est la réalité. Il ne s’agit évidemment pas de nier l’utilité du Droit pour cette profession : elle est parfaitement admise. Le développement de l’intermédiation bancaire nécessite la confiance des consommateurs, donc leur sécurité effective. Simplement, le Droit doit être efficace, objectif souvent délaissé ; et il doit s’appliquer identiquement à tous.

LD :  à l’issue d’une première phase de montée en puissance juridique, le courtage en crédits reste porteur d’un fort potentiel de renouvellement du secteur bancaire. La structure actuelle du Droit de la distribution bancaire comprime ce potentiel, limite son expression ou sa vitesse de diffusion dans l’économie. C’est regrettable, car l’optimisation du développement économique de l’intermédiation pourrait, très efficacement, compenser largement les emplois perdus dans d’autres zones du secteur bancaire, notamment dans les réseaux directs d’agences bancaires des établissements de crédit, dont la débandade est en fait bien supérieure à la description qui en faite, comme nous le savons tous. Les IOBSP de France procurent au secteur bancaire français une avance considérable, en Europe. Sans réforme ambitieuse du Droit de la distribution bancaire, les atouts qu’ils apportent resteront, en large part, inexploités : un gâchis économique. Mieux équilibrer la distribution bancaire en France est un enjeu économique majeur d’évidence.

ED : accepteriez-vous de dévoiler pour les lecteurs de Made In Courtage les recommandations tirées de cette plongée dans les profondeurs du courtage en crédits ?

BR : la législation de l’intermédiation bancaire doit engager un profond travail d’ajustement : d’une part, tous les professionnels pratiquant la distribution bancaire doivent appliquer les mêmes principes, ceux de la distribution bancaire. Les statuts juridiques ne peuvent exonérer tel ou tel professionnel de ces principes. D’autre part, les principes juridiques des différentes distributions (crédits, assurances, paiements, investissement, notamment) doivent pouvoir s’exprimer plus facilement dans des dispositions qui reflèteraient davantage la réalité et les besoins des consommateurs.

LD : quatre natures d’actions sont nécessaires pour accomplir cet ajustement nécessaire. Premièrement, clarifier le droit de la distribution bancaire, perclus de complexités inutiles et de zones d’ombre : des questions simples, courantes, devraient disposer de réponses juridiques claires et partagées. Deuxièmement, supprimer les interdits de principe, sans contrepartie juridique ou économique, qui sont autant de blocages inutiles : ceci est notamment vrai pour faciliter l’intermédiation bancaire digitale, dont le Droit semble se méfier par principe, sans raison autre que la crainte de l’inconnu. Troisièmement, harmoniser entre eux les principes juridiques des différentes distributions, notamment de crédit et d’assurance : la culture de la différence systématique handicape directement les Intermédiaires. Enfin, exiger de tous les professionnels, quels que soient leurs statuts, qu’ils appliquent les mêmes principes de distribution, dès lors qu’ils pratiquent ces activités, sans dérogations injustifiées. Tous les IOBSP devraient, individuellement comme collectivement, imposer et s’imposer ces quatre objectifs, car ils sont légitimes et justifiés.

ED : merci à vous deux, j’ajoute que votre belle complicité s’allie à la profondeur des analyses réalisées pour faire de « Courtiers en crédits et IOBSP : défenseurs d’intérêts » une très stimulante lecture, même durant les vacances ! Et puis j’en profite pour rappeler que vous êtes aussi les auteurs du « Panorama IOBSP » ; cet ouvrage annuel explore en détail l’environnement des IOBSP, dans l’esprit de l’obligation de formation continue. Le millésime 2019 sortira le 31 janvier prochain. Laurent Denis est l’auteur de son côté du « Droit de la distribution bancaire », actualisé en 2016, et du tout récent « Réussir un crédit immobilier ».

Retrouvez la présentation de Bruno ROULEAU et Laurent DENIS dans notre rubrique “Contributeurs” !