Made in Courtage publie ici une tribune passionnante à lire, signée de Bruno Rouleau : sans tabou, le Porte-parole de l’enseigne IN&FI Crédits nous livre ici un état des lieux précis de la situation actuelle des courtiers et de leurs relations avec les partenaires bancaires et les prescripteurs… sans omettre de souligner l’importance de la défense des droits du Consommateur.
Cette tribune de Bruno ROULEAU a été rédigée le 22 mai 2020
Dire que les relations partenariales soient au beau fixe entre les banques et les courtiers en crédit serait à l’heure actuelle un mensonge ou le signe d’un déni schizophrène. Néanmoins, n’est-ce pas aussi la preuve que notre profession trouve toute sa place dans le paysage bancaire, et notamment aux yeux des consommateurs, auprès de qui nous avons su prouver l’avantage du recours à nos services pour les accompagner dans leurs projets, au point d’agacer une partie du monde bancaire.
Où en est-on dans les relations bancaires ?
Bien sûr la réaction immédiate qui vient à l’esprit, quand on est IOBSP aujourd’hui, c’est que c’est compliqué, voire très compliqué. Entre les banques qui rognent les commissions reversées d’apport de clientèle, celles qui enchérissent sur les contreparties, celles qui changent leurs critères de référence pour juger du maintien des relations, celles qui décident, dans leur stratégie, de se passer de prescripteurs qualifiants, quitte à se tourner vers des indicateurs d’affaires qu’elles pourront mieux maitriser…. Bref, tout est prétexte à déconventionner, réduire la dépendance, diminuer le coût.
Dans cette masse, il y a les vraies raisons et puis les fausses barbes. Et la vérité est, comme bien souvent, teintée de nuances, et surtout le reflet d’une réalité aménagée pour justifier sa prise de position.
A la décharge des banques, il est vrai que la situation est cornélienne pour les établissements de crédit. Entre un empilement de réglementations, dont le flux ne semble jamais se tarir (je ne polémiquerai pas ici du bien-fondé de cela), un coût de refinancement qui met à mal toutes les prévisions des directions financières bancaires, une pression des Pouvoirs Publics sur le nécessaire accompagnement de la reprise économique, l’encadrement strict des conditions de distribution du crédit par les autorités de tutelle du marché, et le virage organisationnel et social entamé, le pilotage de l’activité ressort davantage de la témérité que de l’orthodoxie séculaire qui fait encore office au sein des conseils d’administration des grands acteurs de la Banque.
Tout cela pour en conclure que les banques ont besoin de temps. Elles ont trop tardé pour engager les mutations ; elles ont trop pensé que la situation mettrait du temps à évoluer et qu’elles pourraient gérer les profondes réformes nécessaires comme elles l’entendaient. Mais c’était sans compter sur l’accélération incroyable des évolutions technologiques, sur l’appétit sans limite des Fintechs et des GAFA/BATX, qui, si elles n’empiètent pas encore directement sur leurs activités, bousculent l’ordre des choses, et embarquent avec elles des changements de comportement des consommateurs.
C’était aussi sans compter – mais qui pourrait avoir l’outrecuidance d’avoir été capable de le faire ? – sur les chamboulements du monde entre le choc commercial des titans américains et chinois, et surtout la propagation pandémique d’un virus capable de paralyser la moitié du globe terrestre en l‘espace de quelques semaines. Si on devait en douter, l’absence de projection à long terme, qui s’est traduite à tous les étages par des plans d’actions annuels depuis deux décennies, renvoie chacun à la réalité d’un pilotage à vue, où le contrôle de gestion a pris le pas sur l’ambition et le développement.
Dans les banques, tous les opérationnels vous diront qu’ils passent plus de temps, ces dernières années, à faire du contrôle et du reporting qu’à exercer leur activité de base. Ou plutôt devrais-je dire ce qu’il reste de leur activité de base. Car la Banque touche à tout. On est passé d’une approche de rentabilité produit à un calcul prévisionnel de rentabilité globale de la relation client.
Sauf qu’entretemps, le législateur a fait passer l’activité bancaire dans une découpeuse, qui a « saucissonné » le parcours client, en lui laissant (théoriquement) la possibilité de souscrire des produits externes sans quitter le cheminement chez son banquier. Et du coup, la notion de rentabilité globale de la relation devient beaucoup plus fragile, et, dans tous les cas, beaucoup plus incertaine. Et par voie de conséquence, les acteurs qui se sont emparés de ces produits annexes sont devenus des cibles dans la politique de gestion commerciale des banques.
Il y a quelques jours, j’étais interpelé par un lecteur averti de mon profil social, en me demandant si les courtiers ne payaient finalement pas le prix de leur appétit exagéré et de leur contribution à la dégradation des rentabilités bancaires. Ça pourrait paraitre une piste si l’on se place du côté bancaire, et c’est d‘ailleurs un argument porté par certains banquiers… Mais, jusqu’à nouvel ordre, ce ne sont pas les IOBSP qui décident des conditions financières que la banque consent aux clients. Ce ne sont pas les IOBSP qui votent les réglementations européennes. Ce ne sont pas les IOBSP qui se font une guerre impitoyable pour l’acquisition de nouveaux clients au mépris de la fidélisation des anciens.
Comment reprocher aux courtiers de bénéficier des opérations de renégociations quand 75% de ces opérations ont été réalisées directement par les banques entre elles, non sans avoir mis une pression incroyable et violente sur les IOBSP quant à la surveillance de leur attitude à ce propos ? Comment faire peser sur le courtage la baisse de rentabilité sur les contrats d’assurance emprunteur, quant au mépris des réglementations, l’instruction était donnée de renvoyer sur des Centres de Relation Clientèle dès lors qu’une demande de substitution ou de résiliation se faisait jour de la part d’un client, souvent à l’initiative d’une mutuelle ou d’un courtier en assurances ? Comment reprocher aux IOBSP de rogner sur les marges bancaires quand les conventions amendées unilatéralement par les banques partenaires (si tant est que ce mot ait encore un sens), tandis que ces mêmes avenants prévoient l’augmentation très forte des frais de dossier bancaires, sachant que les conseillers bancaires commencent par déroger à ceux-ci à la première objection d’un client capté en direct ?
Alors, oui, les courtiers ont bénéficié d’une défiance bancaire de la part des consommateurs suite à la crise des subprimes, et ont surfé sur la bonne évolution du marché de l’Immobilier, en même temps que les banques préféraient passer par eux pour regagner de nouveaux clients. Peut-être que la stratégie de certaines enseignes a débordé du cadre de la seule intermédiation bancaire. Et…. ?. Les Banques n’ont-elles pas fait de même en faisant main basse sur les sociétés de bourse il y a une vingtaine d’années ? Les banques n’ont-elles pas investi dans les compagnies d’assurance depuis trente ans pour essayer de ficeler le client dans des compartiments toujours plus larges et éloignés de leur cœur de métier ? Les banques n’ont-elles pas investi dans des activités connexes pour anticiper toute évolution ou pour enrichir leurs bases de données : téléphonie mobile, télésurveillance, plateformes de financement participatif… ?
« Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse » dit l’adage populaire. Le bon sens de la tradition populaire ferait du bien d’être rappelé….
L’immobilier : un eldorado qui a déchanté
Dernier domaine que les banques ont investi depuis une quinzaine d’années : l’immobilier. Avec plus ou moins de réussite, elles devront bien le reconnaître. En tout cas les déconvenues et les reventes, ou réformes internes engagées, depuis la vague d’appropriation en attestent. Dans le milieu des années 2000, le mot d’ordre étaient de s’emparer de ce marché, face à sa très bonne tenue. Depuis, la crise des subprimes est passée par là, et certaines banques se sont retirées. Certaines mais pas toutes !
Mais en même temps que les banques s’éloignaient de nouveau du secteur, au travers les liens capitalistiques, le besoin de recourir à des tiers pour envoyer des contacts de clients candidats à l’accession se faisait de nouveau sentir. C’est tout de même un moment de la vie des ménages important où la banque a une occasion rêvée de fidéliser de nouveaux clients. Et quand bien même la durée de détention moyenne en France du logement (au titre de la résidence principale) reste stable aux environs de 8 ans, cela laisse le temps au banquier de faire la preuve de l’intérêt pour le client de lui faire confiance, et ainsi de l’équiper pour le stabiliser dans son portefeuille.
Sauf que la bonne santé de l’Immobilier s’est transformée en euphorie, et que quitte à obtenir un contact, autant que celui-ci soit le plus préparé aux conditions et aux attentes du banquier. Et là, le seul contact avec les coordonnées que permet la situation d’indicateur d’affaires ne suffit plus. Seul un IOBSP a la capacité de jauger la capacité d’emprunt du client, peut établir un plan de financement échafaudé avec soin, et surtout peut parler des produits bancaires que la banque a l’intention de lui demander d’acheter à son entrée en relation.
Les agences immobilières et autres acteurs professionnels du Logement ont ainsi été, pour un certain nombre d’entre eux, refoulés des commissions d’apport de clientèle, au prétexte d’un coût trop élevé en regard au service rendu. Et tandis que le courtage en crédit progressait et embarquait avec lui ces mêmes professionnels immobiliers, en les commissionnant pour le même travail d’indication d’affaires, avant raffinage et transfert du contact au banquier.
Tout semblait donc aller finalement bien pour les différentes typologies d’intervenants : les indicateurs d’affaires continuaient de percevoir un bonus pour l’envoi d’un contact, les courtiers effectuaient leur travail de criblage, d’ingénierie et de prévente, et les banquiers prêtaient à des clients qu’ils souhaitaient obtenir pour du travail prémâché leur faisant gagner du temps.
Oui, mais voilà… L’érosion des marges bancaires avec la baisse des taux ne permet plus aux banques de payer autant que par le passé les courtiers. Surtout qu’entretemps, la banque voit ses champs d’intervention grignotés par les nouvelles dispositions réglementaires sur la domiciliation des revenus, sur le mandat de mobilité bancaire, sur la possibilité de résiliation annuelle du contrat d’assurance emprunteur… autant de sujets de perte de rentabilité sur les clients acquis, qui font désormais plus confiance aux courtiers qu’aux banquiers pour les conseiller. Alors le banquier décide de semer la zizanie entre les différents acteurs d’une chaîne qui paraissait si bien fonctionner….
Le faux retour en grâce des indicateurs d’affaires
Bien sûr, les banques peuvent sanctionner les courtiers et leur faire supporter des baisses de commissions. Mais l’impact financier pourrait être compensé par l’évolution des honoraires de ces mêmes courtiers. Alors, la banque s’attaque à ce phénomène, pour affaiblir encore les courtiers, en les obligeant à vendre des frais de dossier en pleine explosion depuis quelques mois. Ces mêmes frais de dossier que ses propres conseillers sont totalement incapables de vendre. Qu’à cela ne tienne ! Cela permettra d’essayer de capter des clients en direct, et ce sera toujours cela de gagné. Mais est-ce que cela permettra de remonter le niveau de qualité et du service rendu aux clients ?
Je ne mets pas en doute la compétence des conseillers, mais ce sont les consommateurs qui la sanctionnent. Les plus importantes enseignes de courtage en crédit ont joué la carte de la satisfaction client, et toutes affichent un taux de recommandation potentiel entre 85 et 95% ! Et sans tricher, puisque la législation a changé et que les prestataires externes en charge de ces enquêtes qualitatives sont respectueux des nouvelles règles d’impartialité et de totalité des avis publiés. La même initiative de la part des banques donnerait-elle le même résultat ?
Le dernier plan pour enrayer la montée des acteurs du courtage serait alors de les sevrer de contacts. Peu importe le résultat et la difficulté à gérer les flux, au moins les projets seront-ils tatoués comme provenant d’autres sources directes, ou prescrites. Et ainsi on a vu fleurir les budgets d’investissement pharaoniques dans des achats de leads en provenance des plus grands sites d’annonces immobilières, dont on n’imaginait même pas qu’ils soient disponibles. Comme quoi, quand on veut ! Et dès lors, nos agents immobiliers et conseillers en gestion de patrimoine, pestiférés des banques pendant plusieurs années, se révèlent finalement des rabatteurs que les banques peuvent même payer plus chers que les courtiers.
C’est bizarre que le prix de revient d’un seul coup n’a plus la même consonnance ! Parce que ces indicateurs d’affaires renverront moins de clients que les courtiers et donc ne coûteront peut-être pas si chers. Mais surtout parce que contrairement aux courtiers, ils n’interviendront pas sur les autres sujets, et donc pas sur les autres sources de rentabilité bancaire que les courtiers sont capables d’analyser, eux.
Mise en garde à l’attention des professionnels de l’Immobilier
Cette stratégie d’assèchement du monde du courtage n’aura de succès que si ces indicateurs d’affaires songent que les banques sont redevenues des alliées. Mais la vérité est sans doute toute autre. Les personnes qui répondent au chant des sirènes (pas tous, car j’entends beaucoup de prescripteurs qui ne sont pas dupes du stratagème) oublient bien vite qu’elles livrent des clients sans capacité de comparaison, et donc que l’objectif de satisfaction du client passe souvent après la satisfaction de la vente de son produit.
J’entends depuis quelques semaines des consultants (ou qui se revendiquent comme tels), mais aussi quelques cabinets de transactions immobilières, inviter leurs équipes à détourner les clients de la mise en relation avec les courtiers au prétexte que ces derniers ont de moins en moins de sorties bancaires. Sans doute ne savent-ils pas qu’il existe dans l’économie, comme dans tous les domaines, des cycles, et que l’intérêt du client, marqué à l’encre indélébile dans les textes de la réglementation européenne, doit être une préoccupation de base pour les professionnels en lien avec les ménages.
Et quand bien même les acteurs du courtage vivent en ces temps-ci des moments de négociation difficile avec les banques, leur utilité est à présent dans l’esprit des consommateurs, et que vouloir accompagner l’affaiblissement de ceux qui sont les ambassadeurs des clients ne fera que les laisser face à de nouveaux acteurs bien plus puissants et sans doute plus agressifs que ceux qui ne veulent que trouver la meilleure solution aux candidats à l’accession, pour réaliser leur projet de vie dans les meilleures conditions et en étant totalement accompagnés. A bon entendeur…
Bruno ROULEAU
Porte-Parole et Directeur des Partenariats
de l’enseigne IN&FI Crédits
