La loi portant réforme du courtage a été publiée au Journal Officiel début avril 2021. Made in Courtage a sollicité Bruno ROULEAU, président de l’Association Professionnelle des Intermédiaires en Crédits : enjeux de cette réforme, conséquences pour les IOBSP… Ses réponses à découvrir dans cette interview !

Bonjour Bruno, tu présides l’APIC, Association Professionnelle des Intermédiaires en Crédits. L’actualité de notre profession est dominée ces dernières semaines par la réforme du courtage, qui entre en vigueur en 2022. Peux-tu nous rappeler quelles ont été les étapes d’adoption de cette réforme ?

Bruno ROULEAU – Bonjour Eric. Il n’y a pas que cette actualité, car on pourrait parler des taux d’usure, des conséquences des recommandations HCSF sur la production et le Marché, des différentes annonces touchant au secteur bancaire…, mais il est certain que celle-ci nous concerne tout particulièrement. Le dossier remonte à loin puisqu’il a commencé en 2018, d’abord à l’encontre du courtage en assurances, puis étendu aux activités du courtage en Opérations de Banque et Services de Paiement.

En 2019, le sujet prend de la vitesse sous l’impulsion de la DGT qui, prenant conscience de la faiblesse des contrôles de l’ACPR sur les intermédiaires, accélère le projet. Présentés dans le cadre de la Loi PACTE au printemps 2019, les articles tenant à cette réforme sont rejetés pour cavalier législatif au même titre qu’une vingtaine d’autres. Le projet est alors repris par la députée LREM, Valéria FAURE-MUNTIAN, largement aidée par la DGT qui tient à ce texte, qui en modifie l’objet en le renommant Réforme du Courtage en Assurance et Opérations de Banque et Services de Paiement. Il prend le visage d’une Proposition de Loi, ce qui lui évite ainsi de solliciter certaines études préalables. La PPL est présentée en Commission des Finances puis en séance plénière de l’Assemblée Nationale le 27/01/2021, avant de passer devant la Commission de Finances puis en séance plénière du Sénat le 16/2/2021, avec entre temps un ajout de paragraphes relatifs au démarchage téléphonique. Compte tenu des nombreux amendements apportés, le texte est ensuite passé en Commission Mixte Paritaire le  10/03/2021, qui l’a adopté sous forme conclusive. La loi a été depuis promulguée le 08/04/2021.

Avril 2022… c’est dans à peine un an ! Qu’est-ce qui va changer dans le quotidien des IOBSP ?

Pour commencer je voudrais apporter une précision de taille. La date d’avril 2022 ne concernera que les nouveaux COBSP et leurs MIOBSP. J’ai lu beaucoup d’imprécisions et d’erreurs à ce sujet. L’entrée en vigueur pour les acteurs déjà opérant ne prendra effet qu’au renouvellement de début 2023. Ensuite sur ce que ça va changer… Le texte de Loi est pour le moins léger dans son contenu, puisque la Loi tient en un seul article. Nous avions souhaité que si texte il devait y avoir, il soit le plus étoffé, afin que les décrets qui en suivront soient des outils pratiques précis. Or, là, nous nous apercevons qu’il va falloir écrire quasiment tout le schéma organisationnel dans les décrets. Ce n’est pas ainsi que, personnellement, je conçois une Loi. Ce que nous savons à ce jour de l’impact sur les courtiers et leurs MIOBSP, – car, je le répète, la Loi ne touchera pas les MOBSP et MOBSPL, ni leurs MIOBSP – est assez furtif et en même temps lourd de conséquences.

La Loi dit que les courtiers (en Assurance et OBSP) et leurs MIOBSP devront adhérer OBLIGATOIREMENT à une association professionnelle agréée par l’ACPR. Cette association effectuera les vérifications administratives – du moins ceux qu’elle sera autorisée à faire, car il n’est pas question d’ouvrir l’accès aux fichiers BDF ni au Casier National Judiciaire ! – pour accéder à la profession. Puis l’association communiquera les éléments d’information à l’ORIAS pour enregistrement. De plus, l’association accompagnera ses adhérents sur leur montée en compétence et en professionnalisme. Ce ne pourra se faire qu’au travers de recommandations. L’association devra aussi mettre à disposition de ses adhérents un service de Médiation de la Consommation. Au stade où nous en sommes ce sont les seuls éléments qui sont connus et précisés.

Pour ce faire, les associations devront disposer de moyens (locaux, outils, personnels) lui permettant d’assumer les missions qui leur sont affectées, de façon pérenne, auprès de tous leurs adhérents. Cela va donc signifier des investissements pour les associations (à ce jour 6 pour les IOBSP qui se sont déclarées volontaires) qui seront répercutés sur les cotisations. La CNCEF avait établi une première étude en 2018 qui chiffrait le coût aux environs de 450-500 € par adhérent et par an.

De nombreux articles ont montré des points de vue différents sur l’opportunité de cette réforme, à l’origine très orientée courtage d’assurance. Quelle est la position de l’APIC ?

C’est vrai qu’à l’origine, le projet portait essentiellement sur le courtage d’assurance. Mais comme bon nombre de cabinets d’IOBSP sont aussi COA, et que, par ailleurs, allait se poser la question de la représentativité de la profession d’IOBSP, l’APIC avait alors trouvé pertinent  que les débats portent sur un périmètre élargi. Mais cet élargissement aurait dû concerner, selon nous, tous les opérateurs de l’intermédiation financière, ce qui rapidement a été écarté par la DGT et d’autres organisations professionnelles.

Sur la position de l’APIC, je ne vais pas rentrer dans des polémiques stériles, d’autant que la Loi est désormais votée et promulguée. Mais je ne peux m’empêcher de constater qu’on va générer des charges supplémentaires conséquentes sur les courtiers tandis qu’on sait tous la situation économique actuelle, qu’elle soit d’origine sanitaire comme dans l’attitude parfois des banques à l’égard des IOBSP. De plus, à force de marteler que le modèle de délégation par l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) auprès des associations de CIF n’était pas duplicable par l’ACPR du fait de la Directive sur le Distribution en Assurance et du statut juridique totalement différent des deux autorités de régulation, la notion de sanction a été ôtée du texte. Sauf s’agissant de sanctions internes relatives à un non acquittement de la cotisation par exemple. Le sujet des contrôles administratifs est aussi un sujet fort de divergence de point de vue. Les associations n’auront pas accès au Casier National Judiciaire, ni aux fichiers de la BDF. Ce qui signifie que l’ORIAS, dans tous les cas, devra tout de même effectuer des contrôles administratifs. Où est l’économie ? Concernant la vérification des obligations réglementaires de formation annuelle continue, l’ACPR n’est pas en capacité de vérifier les programmes. Comment des associations pourraient-elles le faire ? De même pour les attestations validant la réussite au contrôle de formation continue. L’ORIAS pouvait très bien être le collecteur des attestations des dirigeants lors des inscriptions ou renouvellements, charge aux dirigeants de s’engager juridiquement sur la conformité de leurs effectifs. Je ne vois pas, là non plus, comment une association va pouvoir s’assurer qu’elle dispose de toutes les listes actualisées des salariés et MIOBSP des acteurs du Marché. Et il n’est pas imaginable que les permanents des associations épluchent les attestations de tous les salariés de tous les cabinets. L’ORIAS n’en a pas les moyens, donc les associations non plus.

Enfin, et ce n’est pas le moins préoccupant de la situation, c’est qu’on va créer une distorsion de concurrence grave. En effet, les MOBSP et MOBSPL (et leurs MIOBSP) vont être contrôlés par les Banques mandantes. Je fais confiance aux banques pour faire le travail, d’autant qu’elles ont de moins en moins d’appétence pour ces statuts qui les responsabilisent énormément au sens du Contrôle Interne. Mais comment vont-elles communiquer avec les autorités de régulation en cas de démandatement ? La situation est encore plus délicate dans le milieu des assurances, puisque les contraintes de contrôle des agents généraux par les compagnies sont bien moindre que pour celles des banques. Par ailleurs, les intermédiaires installés en Libre Prestation de Service ou en Libre Etablissement échappent à l’obligation d’adhésion, puisque les textes de DDA précisent que la territorialité nationale ne peut s’imposer aux acteurs étrangers ou installés à l’étranger. Or rappelons que le prétexte initial du projet était l’inquiétude née des défaillances d’acteurs (dans la garantie en Bâtiment notamment). Mais ces acteurs exerçaient en LPS. Donc la Loi ne changera rien. Pire, elle pourrait inciter des acteurs non conformes à se délocaliser pour continuer d’agir en France sans contrôle.

Face à ces éléments, l’APIC a effectivement et rapidement été hostile à la mise en place du texte, car pour nous l’ambition exprimée était bonne mais la matérialisation est à côté de la cible, et va être davantage synonyme d’alourdissement administratif et financier pour les cabinets de courtage que bénéfique. Néanmoins, nous accompagnerons nos adhérents dans le sens de la Loi, en étant présents et constructifs, mais vigilants, dans l’écriture des décrets.

Crise sanitaire et économique, usure, HCSF, conventions bancaires… il y a déjà beaucoup de sujets de préoccupations pour les IOBSP. Est-ce que cela peut expliquer, au moins pour partie, que beaucoup de courtiers en crédit se sentent peu concernés par la réforme ?

Tu reprends la plupart des sujets qui nourrissent notre quotidien et que je rappelais en début d’entretien. On pourrait encore en ajouter d’autres (digitalisation, accessibilité aux données issus de DSP 2, assurance emprunteur…) et puis il va y avoir aussi de nombreux chantiers à venir au niveau européen, qui vont redescendre sur la France : révision de la Loi sur le Crédit à la Consommation, le modèle de commissionnement issu du dernier volet DDA pour l’assurance, l’étude d’impact de la DCI qui présume sans doute d’une révision de MCD, l’émergence et la réglementation des cryptoactifs dans le crédit… Mais tous ces sujets sont pris au fur et à mesure de leur intervention dans le quotidien des IOBSP. Ce n’est pas un manque d’envie mais souvent un manque d’information et un sentiment que tout cela est bien loin d’eux. Et c’est vrai que l’urgence et les priorités étaient – et sont encore – de passer le cap de la crise économique et sanitaire. Les débats vifs et les actions sur les textes ont aussi retardé la diffusion de la version finale. Encore à ce jour, je ne suis pas capable de répondre à toutes tes questions, car ce sont les décrets qui vont préciser la plupart des choses.

Comment l’APIC se prépare-elle ?

Déjà sur les décrets, on a commencé à recenser les questions qui font débat. Soyons clairs : le risque des décrets est de laisser une grande latitude à l’interprétation de la Loi. On va donc être vigilant sur l’écriture de ces décrets. Rappelons que les associations agréées pourront être sanctionnées voire radiées si elles ne respectent pas leurs missions. Ce n’est donc pas neutre.

Si la question porte sur la candidature de l’APIC, je te confirme qu’il y a des discussions internes au Conseil d’Administration sur le choix de l’organisation. Il n’est pas imaginable pour moi que l’APIC ne postule pas en qualité d’association agréée. Nos adhérents réunis représentent 60% des volumes de crédits distribués par l’intermédiation en France. Néanmoins, irons-nous seuls, en lien avec d’autres acteurs sur une structure « chapeau » ou sur une nouvelle structure ? Ça va aussi dépendre de ce que la DGT entend par gouvernance indépendante et nous autorise à bâtir, car notre priorité sera de minimiser l’impact pour les adhérents….

Tu nous confirmes que seuls les COBSP et / ou COA sont concernés par l’obligation d’adhésion ?

Oui, seuls les COA et COBSP sont concernés, ainsi que leurs Mandataires (MIOBSP et MIA).

Et justement, pour les courtiers qui ont une double inscription (IOB et IAS), qu’en est-il ?

C’est un sujet qu’il va falloir affiner lors des discussions, mais en l’état des choses, il ne sera possible d’adhérer qu’à une seule association par structure. Donc pour les cabinets qui ont les deux activités sur la même entité, il faudra choisir une association. Pour ceux qui ont des structures distinctes, chacune des structures pourrait adhérer à une association différente. Mais attention, il y a des enseignes où la structure de courtage en assurance porte les mandataires ou courtiers en opérations de banque de l’autre structure en qualité de MIA. Et là il faudra vraisemblablement tout rassembler sur une seule association.

Merci Bruno pour avoir accepté notre interview. A très bientôt !

Réforme du courtage
Bruno ROULEAU, président de l’APIC