Made in Courtage a rencontré Pascal CHERIN, président de la commission Regroupement de crédits de l’APIC. L’occasion de revenir sur la table ronde organisée par l’association fin juin, d’établir un bilan du marché et d’en tirer les perspectives pour les prochains mois.
Bonjour Pascal CHERIN, tu présides la commission Regroupement de crédits (RAC) de l’APIC. Le 30 juin dernier, vous avez organisé une table ronde interprofessionnelle, au vu de la situation inédite du marché. Quel bilan à mi-parcours ?
Comme le marché du crédit immobilier, le marché du regroupement de crédits a été très fortement impacté par des taux d’usure très bas et un coût du refinancement très élevé, empêchant les banques d’intégrer dans le taux débiteur, leur marge mais aussi le coût du risque de ces dossiers singuliers.
Le regroupement de crédits possède deux singularités. A l’inverse du Crédit Immobilier qui est un produit d’appel pour générer du PNB par des ventes connexes à la suite de la domiciliation des revenus ; le regroupement de crédits est une opération one shoot, sans domiciliation bancaire et doit donc s’auto-rémunérer.
D’autre part, les profils des emprunteurs sont généralement des populations moins gestionnaires et donc plus à risque. Les prêteurs doivent donc intégrer un coup du risque plus élevé dans leur tarification.
Ces deux singularités amènent les prêteurs à proposer des grilles tarifaires plus élevés alors que certains de leurs produits doivent respecter les mêmes taux d’usure que les prêts immobiliers.
Conséquence directe : les productions ont dû être subventionnées, provoquant pour les plus déficitaires un arrêt brutal des lignes de produits, resserrement des normes, production sous contrainte de quota, etc…
On peut évaluer une chute de la production sur le 1er trimestre 2023 de 50%.
Une chute brutale du marché
En 2022, le marché du RAC intermédié s’est élevé à 4,8 Md€. Mais pour 2023 ?
Les perspectives 2023 s’inscrivent sur un volume de 2.5 à 3 M !
Pour mémoire, depuis 5 ans, le marché enregistrait chaque année une croissance à 2 chiffres. La production devrait revenir sur des volumes de 2009. Si on regarde en détail, il convient de segmenter selon le produit.
1.1 Le marché de l’usure conso
1.1.1 LS1 hypothécaire : la reprise est actée par les partenaires mais reste récente (avril et mai). Sollicitant moins de fonds propres et une usure plus haute, il est naturellement favorisé.
Les acteurs bancaires enregistrent malgré tout une baisse significative au 1S 2023 allant de – 40 à -70% en année glissante, hormis CREATIS (recul moins fort) et Banque postale en progression (mais sa production du 1er semestre 2022 n’était pas représentative)
On constate des profils client plus dégradés que précédemment et de plus petits projets.
1.1.2 RAC sans garantie :
Il faut s’attendre à un marché en deçà sur 2023.
La production a repris sur les mois de mai et juin. Pour exemple Créditlift annonce un mois de juin satisfaisant en sans garantie.
Une légère ouverture des normes est anticipée à l’automne. Pour répondre notamment à une demande en forte hausse sur la population locataire. Mais le risque veille…
2.1 Le marché du LS2
Le produit qui a le plus souffert de ce contexte et qui a presque disparu sur le 1 er semestre. Bien que les volumes aient sensiblement chuté, les banques s’accordent à penser qu’il retrouvera une place sur les étagères du RAC.
Le marché « d’opportunisme » qui s’était créé laissera place à un marché réfléchi pour des besoins spécifiques.
Les volumes ne seront plus ceux connus en 2021 et début 2022. Mais l’usure des derniers mois permet sa réouverture et certains acteurs comme Créatis ne s’interdisent pas de réfléchir à un nouveau produit LS2 si la marge revenait au RDV.
A souligner l’effort de MMB de revenir très vite sur le marché depuis mars et mention spéciale au CFCAL d’avoir malgré tout maintenu le produit dans des conditions spécifiques depuis le début de la crise.
Quel constat dresses-tu de la situation ?
L’ensemble des acteurs sont soumis aux pressions actionnariales à la suite :
- Des pertes 2022 dues au ciseau entre des taux débiteurs qui ont fortement remonté fin 2022 et un taux d’usure atone,
- Et aux alertes marchés des filiales de certains des groupes en présence, CETELEM, COFIDIS, SOFINCO, CGI ayant fait état d’une hausse du risque sur l’ensemble de leurs encours.
Les productions déficitaires « engrangées » fin 2022 et début 2023 impacteront durablement la rentabilité des années à venir (un stock se conservant entre 6 à 8 ans).
Du côté de l’usure, sa mensualisation et sa hausse élevée de juillet favorisent la reprise d’activité, même s’ils estiment [NDLR : les établissements prêteurs] que le niveau de rentabilité reste encore faible et fragile. Le coût de refinancement a un impact différent coté Regroupement de Crédits puisque les établissements ne dépendent pas que de l’OAT mais aussi du SWAP.
L’impact de l’inflation
Quel est l’impact de l’inflation ?
Le pilotage de l’inflation est beaucoup moins évident qu’une période telle que le COVID. Il faudra vraisemblablement plusieurs années pour retrouver les 25/30% de volumes perdus. BNP PF annonce au minimum 8 trimestres pour retrouver une situation stabilisée.
L’inflation affecte plus particulièrement les locataires et tant qu’elle ne sera pas revenue à un niveau satisfaisant, le risque contraindra les normes sur les RAC Locataires.
Il est à souligner que l’expertise et le savoir-faire des banques du RAC ont permis une maitrise et une anticipation du risque évitant tout dérapage des productions.
Reste l’incertitude du comportement des stocks antérieurs avec quelques signaux d’inquiétudes dont le LTV du portefeuille.
Quelles sont les perspectives ?
Bien que le marché ne soit pas encore stabilisé pour évoquer des perspectives à moyen terme, les dernières hausses du taux de l’usure des crédits combinées à une stabilisation des taux de refinancement permettent désormais d’intégrer une légère marge permettant de financer pour parti le coût du risque.
Cette bouffée d’oxygène devrait permettre sur le 2ème semestre de libérer mesurément certaines normes au profit du partage de la valeur.
« La reconstitution des marges servira prioritairement à la réouverture des normes, viendra ensuite le partage de la valeur. »
Ces assouplissements sont désormais possible grâce à des actions qui ont été menées par les banques du Regroupement de Crédits en préventif depuis plus d’un an, permettant ainsi de relancer avec précaution et mesure les produits « Ls1 comme Ls2 »
Le risque reste à ce jour le principal indicateur à surveiller, le partage de la valeur entre banque et IOBSP ne pouvant intervenir tant que ce dernier ne sera pas stabilisé.
Gageons que le marché du Regroupement de Crédits se stabilisera sur le 2ème semestre 2023 pour retrouver une dynamique commerciale en 2024.
Dans ce contexte, les banques prévoient-elles le lancement de nouveaux produits ?
Cette situation modifie en profondeur ce marché très spécifique. Des adaptations devront avoir lieu.
Les banques du RAC réfléchissent à de nouveaux produits, comme des durées rallongées pour le sans garantie, de nouveaux marchés de niche qui pourraient être explorés. Par préservation des stratégies commerciales, peu d’annonce et de réflexion ont été exposées.
Les IOBSP touchés par ce retournement du marché
Et du côté des intermédiaires ?
Pour l’heure, les partenaires ne constatent pas de fermetures massives d’établissements parmi les principaux IOBSP de la place, même si les effectifs ont été réduits ou ont été mis au chômage technique le temps que l’activité reprenne.
L’incidence est plus nette chez les acteurs dont ce produit n’est pas l’activité principale (type MIOBSP de packageur).
Les banques craignent une concentration du marché à laquelle elles ne sont pas forcément favorables sauf pour Créditlift qui a toujours fait le choix d’un réseau de distributeurs encadré et restreint.
L’idée d’une concentration n’est pas vue favorablement en ce qu’elle diluerait la qualité des réseaux existants.
Une évolution, un remaniement au sein des acteurs du TOP 10 est attendue comme durant l’ère post-2008. Tout est possible, de nouveaux acteurs pourraient émerger de ce contexte.
Pour les raisons de rentabilité évoquées plus haut, il faut s’attendre à une révision des politiques tarifaires en matière de commissions.
Et du côté des intermédiaires ?
Un rappel à l’ordre de l’ACPR
L’ACPR a publié un communiqué mai 2023 qui a fait beaucoup de bruit chez les acteurs du RAC. Peux-tu nous en dire plus ?
L’ACPR dans son communiqué souhaite attirer la profession sur des pratiques.
Notamment elle souhaite modifier les règles du commissionnement qui consistait à favoriser le volume, avec notamment la mise en place par les IOBSP d’enveloppes de trésorerie de manière systématique, pour augmenter le montant des prêts et directement le commissionnement et non en réponse à un besoin spécifique et nécessaire du client.
L’intérêt client n’est pas forcément préservé par une politique de volume. Des indices comme la satisfaction des clients, la baisse de la mensualité, etc … sont des pistes plus en adéquation avec l’intérêt des consommateurs.
Il est également à noter que le CP de l’ACPR semble reposer davantage sur le contrôle de courtiers exerçant le RAC comme des MNE, sans les distinguer, alors que le périmètre de leur intervention et les obligations qui en découlent sont distincts. Le courtier a un devoir de conseil renforcé comme la comparaison et le descriptif des offres.
L’empilement des couches d’intermédiaires (indicateur/MIOBSP/packageur) qui se rémunèrent chacun, est lui aussi vue défavorablement.
L’orientation produits et les politiques de commercialisation doivent être plus qualitative, et faire mieux ressortir l’intérêt de l’opération pour le client.
Pour conclure, un mot sur la Directive Crédit Consommation ?
L’Europe vient d’adopter une réforme du crédit à la consommation, cette dernière doit être transposée prochainement en droit français.
Le droit français étant déjà extrêmement protecteur du consommateur en matière des crédits à la consommation, peu de changements devraient intervenir.
Néanmoins, alors que la LOA permet de financer 80% des acquisitions automobiles dans le neuf, la transposition de la DCC pourrait changer la donne, en l’intégrant dans le périmètre de l’usure, ou en créant un taux d’usure propre aux LOA, réduisant ainsi fortement sa rentabilité.
Quant aux acteurs du RAC (APIC et AFIB), ils plaident dans le cadre de la transposition pour la mise en place d’un taux d’usure spécifique pour les opérations de regroupement de crédits assujetties à l’usure du prêt à la consommation, avec par exemple la création d’une nouvelle tranche pour les prêts de plus de 6K€ et d’une durée supérieure à 10 ans.
Merci beaucoup Pascal pour cette interview passionnante sur le marché du regroupement de crédits.
A propos de l’APIC
L’APIC est la première association des Intermédiaires bancaires depuis 12 ans et se veut la porte-parole de tous les métiers du crédit : Immobilier comme du regroupement de crédits.
L’APIC a pour volonté de nommer comme présidents des commissions des professionnels du métier. A cet effet la présidence de la commission « RAC » a été confiée à un professionnel de renom qui pratique l’activité du « RAC » depuis plus de 30 ans, Pascal CHERIN.