Entretien d’Eric DEBESE avec Maître Laurent DENIS, Avocat chez www.endroit-avocat.fr
Propos recueillis le 6 mai 2019
L’Intermédiaire bancaire et la communication publicitaire : ou la fable « Les deux Pigeons ».
« Deux Pigeons s’aimaient d’amour tendre :
L’un d’eux, s’ennuyant au logis,
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L’autre lui dit : « Qu’allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ? »
Jean de La Fontaine (1621-1695), Fables, Livre IX.
Eric DEBESE : bonjour cher Laurent ! Beaucoup de nos amis Intermédiaires bancaires pratiquent la publicité, notamment écrite dans des journaux ou des magazines. La publicité de l’IOBSP peut parfois prendre les airs d’un épouvantable voyage…Les contraintes juridiques de l’IOBSP sont de belle épaisseur ; mais jamais insurmontables. C’est ton point de vue constant. Tu dis souvent que c’est leur méconnaissance qui fait généralement la difficulté et non leurs contenus. Mais avec la communication publicitaire de l’IOBSP, il y a sans doute à redire sur la formulation des obligations elles-mêmes… L’actualité juridique nous rappelle vertement les dangers de la publicité d’IOBSP mal maîtrisée, surtout dans la presse…
Laurent DENIS :bonjour cher Éric ! Oui : dans la presse, la publicité d’IOBSP approximative coûte très cher. Elle peut déplumer sérieusement l’IOBSP. De fait : la publicité non-Conforme (ceux qui la contestent devant les tribunaux la qualifient « d’illicite »…) est particulièrement visible par nature. Nous parlons de publicité ; par essence, la publicité s’adresse au public. Elle est faite pour être vue. Et ses normes juridiques : aussi. Les Intermédiaires bancaires s’adressent à des médias à forte audience : magazines de programmes de télévision, revues généralistes… Pour parler de crédit, la publicité recherche des journaux à haut débit !
ED : quelles sont les sanctions encourues par un IOBSP, pour une publicité « illicite » dans la presse ?
LD : une condamnation modérée en Justice peut se traduire par près de 20.000 euros de frais pour l’IOBSP (dommages et intérêts, amende, frais de justice et d’Avocat, obligation de passer une annonce clamant la condamnation de l’IOBSP). Le Code de la consommation prévoit jusqu’à 150.000 euros de sanction pénale pour certaines infractions (articles L. 322-2 et L. 342-2 du Code de la consommation).
ED : cela fait cher de l’annonce publicitaire… mais qui peut bien passer du temps à scruter les publicités des journaux pour les contester ?
LD : nous sommes d’accord, ce n’est pas un sport de masse. Mais il réunit des amateurs. Un Consommateur mécontent et conseillé pourrait se servir d’une publicité non-Conforme contre l’IOBSP. L’ACPR, la DG CCRF (ou la DD PP locale) analysent en permanence ces publicités. Surtout, des Associations de consommateurs peuvent y trouver un moyen de revenus assez faciles.
ED : Quelle doit être l’approche prudente et mesurée de l’IOBSP envisageant une publicité « print » dans la presse grand public ?
LD : c’est bien simple, le réflexe fondamental consiste surtout de ne pas donner le feu vert ou le fameux « BAT » (Bon À Tirer) à l’annonce et au support de presse sans une validation juridique préalable. Ce qui n’a pas suscité de difficulté pendant des années peut soudainement devenir un magma de tracas. L’idéal est de procéder comme pour tout sujet de Conformité juridique : quelle est la liste des obligations ? Est-ce que l’annonce respecte ces obligations une à une ? L’IOBSP doit se rappeler que les « conditions générales » des contrats publicitaires excluent toute responsabilité du support, vendeur d’espace (idem pour le publicitaire créateur de l’annonce). Les vendeurs d’espaces publicitaires et les créateurs de publicités, déchargés de toute responsabilité, ne donneront donc aucun conseil à l’IOBSP. Je viens encore de le constater, dans la réponse écrite reçue de la régie publicitaire d’un magazine TV. Dernier point : seule une faible partie de l’ensemble des publicités presse diffusées par des IOBSP peut susciter des ennuis judiciaires. Comme souvent, l’IOBSP observe donc autour de lui des pratiques identiques aux siennes, qui ne seront jamais contestées. Elles sont pourtant juridiquement toutes erronées. La généralisation ne transforme pas l’erreur en vérité. Chaque IOBSP doit assurer sa propre sécurité juridique : dans ce secteur, « ce que font les autres » n’est ni une sécurité, ni surtout une défense en Justice.
ED : alors en ce cas, quelles sont les obligations précises à respecter et comment l’IOBSP doit-il procéder ?
LD : l’Intermédiaire doit bien garder à l’esprit que ses obligations ne sont pas identiques à celle d’un prêteur, d’une banque : en tant qu’Intermédiaire bancaire, il est soumis à des obligations légales spécifiques, traitées par des articles particuliers, notamment du Code de la consommation. C’est vrai également pour les publicités qu’il diffuse. Certains messages publicitaires sont interdits : dire qu’un crédit permet d’améliorer la trésorerie de l’emprunteur, par exemple. Les mentions légales doivent être exhaustives : celles concernant l’activité même d’IOBSP, notamment les informations sur les partenaires bancaires et sur les pouvoirs de l’IOBSP, et celles relatives au crédit concerné, s’il est question de crédit. Enfin, deux points particuliers de vigilance sont à prendre en considération : l’endroit de l’annonce où figurent les mentions légales et la taille de police de caractère des mentions légales.
ED : peux-tu donner quelques exemples de points de vigilance juridique dans une publicité « print » d’IOBSP ?
LD : bien sûr, voici un premier exemple très illustratif. L’avertissement générique à présent bien connu « Aucun versement, de quelque nature que ce soit, ne peut être exigé d’un particulier, avant l’obtention d’un ou plusieurs prêts d’argent » doit respecter deux contraintes : avoir une taille de police (dite «de caractère») plus importante que celle du texte publicitaire et figurer directement dans les informations publicitaires (ensemble, articles L. 312-5et L. 312-8du Code de la consommation). Cette exigence est stupide. En quoi la place de cette mention « dans » le texte publicitaire change quoi que ce soit à l’information ou la protection des Consommateurs ? Quant à la contrainte « de taille de caractère plus importante », elle est tout simplement inapplicable. Le Droit ne définit pas « les tailles de caractère(s) », dont il existe plusieurs définitions ; il ne fixe pas la taille en deçà de laquelle la lisibilité s’effondre ; stupéfiant : des tailles de caractères typographiques pourtant identiques facialement sont différentes en réalité selon la nature des polices ; la Jurisprudence, imprécise et pataude, sanctionne systématiquement l’Intermédiaire sans référence objective…

ED : mais d’où vient une législation aussi détaillée ?
LD : cette législation publicitaire n’est pas « détaillée » : elle est tortueuse et retorse. Chacun voit bien qu’il n’y aucun rapport entre de telles normes et la protection effective des Consommateurs. En revanche, les transgresser, c’est automatiquement s’exposer à des sanctions financières, y compris en Justice. Car telle est la mécanique élémentaire du Droit : norme, enfreinte, sanction. Ces normes purement françaises constituent un exemple flagrant d’inflation législative purement française : la Directive européenne qui a réformé le crédit à la consommation, en 2010 (Directive 2008/48 CE du 23 avril 2008, transposée le 1erjuillet 2010 en France) exige, simplement, une communication publicitaire « claire, concise et visible ». Comble, elle pose même la liberté des exigences publicitaires en l’absence de mention du coût du crédit : « En outre, les États membres devraient être libres d’établir, dans leur législation nationale, des exigences en matière d’information concernant les publicités ne comportant aucune information sur le coût du crédit » (Directive 2008/48, considérant n°19). Or, le plus souvent, tel est le cas des publicités des Intermédiaires : elles vantent les services d’intermédiation, pas tel ou tel crédit ni son coût. Cette latitude dans la définition des normes devrait entraîner une approche mesurée. Au contraire. Le cadre juridique français ne mérite qu’un qualificatif : il est scandaleux. Il constitue une atteinte profonde à la liberté d’entreprendre et de promouvoir l’activité d’intermédiation bancaire, sans aucune contrepartie du point de vue de la protection des Consommateurs.
La mode en France est à la lutte contre la « sur-transposition » (sous-entendu « des Directives européennes ». Car c’est une farce bien connue : la sur-réglementation ne provient que de l’Union européenne ; le très vertueux législateur français n’est jamais tenté par l’excès de législation…). Ça tombe bien : nous sommes bien ici en présence d’une situation incontestable de sur-transposition, tellement flagrante que la Directive référente de 2008 renonce même à légiférer sur les publicités dépourvues de coût de crédit, pour en faire un espace de liberté. Pour quelles raisons fabriquer des contraintes ? Pour quelles raisons formuler pour ces publicités des contraintes aussi mal fondées juridiquement ?
ED : existe-t-il un autre exemple illustrant cette délicieuse législation de la publicité écrite de l’Intermédiaire bancaire dans la presse ?
LD : ils sont abondants ; et tout aussi désolants. Par exemple, la publicité de l’Intermédiaire doit indiquer les noms et les adresses postales exhaustives de tous les établissements de crédit pour le compte desquels l’Intermédiaire exerce son activité (articles L. 322-2et suivants de ce Code, rubrique destinée à la « protection des débiteurs et des emprunteurs»). Elle doit signaler si l’Intermédiaire travaille à titre exclusif avec un ou avec plusieurs prêteurs ou « en qualité de courtier indépendant » (article L. 322-3 du Code de la consommation), selon la ridicule formulation juridique du Code de la consommation, comme si les Mandataires d’établissements de crédit n’étaient pas, également, indépendants ou comme s’il existait des courtiers « dépendants »… D’autres points juridiques également importants complètent ce cortège normatif assez grotesque.
ED : cela vaut-il encore le coup (le coût ?) pour l’IOBSP de pratiquer la publicité écrite dans les magazines ?
LD : oui, évidemment. Mais en changeant de manière de procéder. Une législation piégeuse n’est plus un risque dès lors que ses épines sont identifiées et visibles en amont. Toutes ces contraintes peuvent s’intégrer dans une publicité, sans dégrader le message publicitaire outre-mesure.
La production d’une annonce publicitaire « print » dans la presse pour un IOBSP aboutit à un support lisible, qui peut exprimer des messages attractifs ; mais dont la configuration juridique est à la fois inconfortable pour le lecteur, donc, pour le Consommateur et risquée pour l’IOBSP qui l’aborderait sans précaution.
Ceux qui sont perdants, ce sont les Consommateurs, qui reçoivent des publicités dans lesquelles la question de leur protection n’est pas sérieusement posée. Et les Intermédiaires bancaires, pour lesquels la législation n’est pas construite dans une optique de protection des Consommateurs, mais de sanction financière aisée des Professionnels.
ED : des « mentions légales » bien rédigées, dans les sites internet, peuvent procurer toute l’information voulue…

Laurent DENIS :…et : c’est vrai. Comme tu le dis : à condition qu’elles soient bien rédigées, donc, actualisées et complètes. Bien peu de mentions légales réunissent ces conditions. Prenez les mentions légales, faites les deux tests suivants : les mentions légales du site internet contiennent-elle une référence à l’article L. 321-2 du Code de la consommation, pour évoquer la rémunération de l’Intermédiaire ? Elles sont fausses. Font-elles références à « la Loi MURCEF » (de 2001) ? Elles sont obsolètes. Bien sûr, travailler correctement le texte des mentions légales d’un site internet d’IOBSP demeure une sécurité juridique élémentaire. Mais elle ne couvre pas une publicité non-Conforme.
Dans la publicité écrite de l’IOBSP, il y a bien « deux Pigeons » : l’IOBSP et le Consommateur. Ces normes juridiques sont loin de contribuer particulièrement à la protection des Consommateurs. De plus, une publicité, ce n’est pas un contrat : elle n’engage en rien le Consommateur. Elle le fait simplement entrer dans un processus de commercialisation archi-encadré juridiquement. En revanche, la complexité inutile de la publicité freine la légitime activité promotionnelle de l’IOBSP et favorise des sanctions injustes.
Eric DEBESE :Laurent, merci infiniment pour ces éclairages, pour tes observations et pour tes réflexions données en primeur à Made In Courtage. Nous comprenons que le sujet de la publicité de l’IOBSP, sous les apparences d’un acte banal, peut contenir pas mal de tracas. La vigilance s’impose. Made In Courtage alerte les IOBSP. Et nous voyons grâce aux éléments que tu propose aux lecteurs de Made In Courtage, comment écarter les effets secondaires indésirables d’une annonce publicitaire d’intermédiation bancaire. La publicité doit et peut rester un simple vecteur de contact et d’entrée en relation entre un futur Client et un Intermédiaire bancaire !
ENDROIT AVOCAT(https://endroit-avocat.fr/) est un prestataire juridique au service des Intermédiaires en banque, en assurance et en finance, tout particulièrement des IOBSP.
Laurent Denis est l’auteur du « Droit de la distribution bancaire » et de « Réussir son crédit immobilier ».
Laurent Denis et Bruno Rouleau sont les auteurs de « Courtiers en crédits et IOBSP : défenseurs d’intérêts ».