Bruno ROULEAU

2022, année de tous les dangers ou année des changements ? Tandis que nous ne sommes pas sortis d’un contexte sanitaire inédit et anxiogène, les bons chiffres de 2021 nous intriguent. Est-ce le calme avant la tempête ? La réforme du courtage coïncide-t-elle avec l’avènement définitif de l’intermédiation ? Les élections vont-elles perturber le cycle actuel plutôt prometteur ? Autant de questions qu’on se pose toutes et tous, plus ou moins, pour aborder l’après de la trêve des confiseurs. Rencontre avec Bruno ROULEAU, président de l’APIC.

Bruno, l’année se 2021 se termine sur des chiffres au plus haut pour l’immobilier par le nombre de transactions et pour le crédit immobilier par le volume de production. C’est du jamais vu ?

Bruno ROULEAU, président de l’APICOui, 2021 va être une année record et exceptionnelle à bien des titres. Comme tu le rappelles, on savait que l’appétence des ménages restait très forte pour l’achat de son logement, et que les différents confinements avaient aiguisé les appétits pour un changement d’environnement, mais de là à pulvériser le record du nombre de transactions (NDLR. l’ordre des notaires fait état de 1,19 Millions de mutations sur 12 mois glissants à fin octobre 2021), cela a surpris tout le monde. D’autant que dans le même temps le durcissement répété des règles du Haut Conseil de Stabilité Financière aurait dû freiner des ardeurs. Le volume de crédits immobiliers va approcher les 250 milliards d’euros sur l’année, très majoritairement alimenté par des nouveaux crédits. En effet, la part des renégociations devrait avoisiner 15%, soutenue par des taux historiquement bans, mais après plusieurs vagues précédentes, cette part tend à se contracter.

On lit parfois des analyses contradictoires pour 2022 : certains s’inquiètent des conséquences de la recommandation du HCSF (qui devient contraignante au 01/01/22), d’autres de l’inflation et du risque de remontée des taux, cependant que les notaires visent une poursuite de la hausse des prix de l’immobilier… Bref, difficile d’y voir clair ! Comment démêler le vrai du faux, ou le probable de l’improbable ?

Tout est lié, tant en termes de relations que des craintes. Si on prend les choses dans l’ordre, on se doit de parler d’abord des prix du marché de l’Immobilier. L’année 2021 a connu une hausse moyenne (il faut toujours pondérer selon les situations, mais ça signifie tout de même quelque chose) de plus de 5%, avec des hausses constatées sur des agglomérations jusqu’à 10 voire 12%. Cela a été notamment le cas des villes moyennes, soit en grande périphérie de métropoles (St Etienne ou Grenoble pour Lyon, par exemple), soit connectées par des moyens de transport rapides (Tours, Reims, Le Mans par rapport aux lignes LGV ou TGV depuis Paris). Ce n’est pas l’exode rural que certains ont largement  clamé il y a quelques mois, mais il n’en reste pas moins que s’agissant des populations de cadres ou de chefs d’entreprises, les maisons avec jardin ou terrasse dans ces villes ont connu un vif intérêt de la part des acheteurs. Cette emballement sur les prix se heurte à un phénomène de raréfaction du nombre de biens répondant aux critères des candidats. D’où la surchauffe en termes de demandes.

Incertitudes sur les taux en 2022 ?

Ensuite, les acquisitions demeurent principalement réalisées au moyen d’un crédit immobilier. La hausse des prix a été jusqu’ici compensée par la baisse et  le niveau très bas des taux d’intérêt. Ces taux bas sont la conséquence d’une politique très accommodante de la Banque Centrale Européenne pour le refinancement bancaire. Le message récent de la BCE, relayé par le Gouverneur de la Banque de France sur la fin proche d’une politique très souple, et l’annonce de la remise en œuvre prochaine des obligations de provision sur les coussins contra-cycliques vont forcément peser sur les quotités disponibles de fonds propres à utiliser pour la distribution de crédits immobiliers. D’autant que l’incertitude relative à la situation sanitaire risque de crisper les comités de risques bancaires dans leur politique d’octroi sur certains profils.

Enfin, effectivement, je suis de ceux qui mettent en garde sur l’effet à retardement des normes renforcées du HCSF, qui excluent de fait un nombre de plus en plus important de ménages modestes , les primo-accédants et les investisseurs privés. Le principe du blocage dans la durée des prêts à 25 ans (NDLR. les banques peuvent ajouter 2 ans maximum en cas de vente dans le neuf sur la période de préfinancement mais pas dans la période d’amortissement) est en soi une hérésie du point de vue des consommateurs. Les partisans des durées courtes font principalement référence au coût total du crédit avec des durées très longues. Mais quand on a des taux , fixes qui plus est, qui flirtent avec du 1,25% hors assurance sur 25 ans et qui pourraient s’établir à 1,50, voire 1,70%  sur 30 ans, le surcoût n’est rien en regard à la capacité d’emprunt supplémentaire des accédants. Le sujet des normes – car je ne veux plus parler de recommandations dans ces conditions – est avant tout une forme d’encadrement du crédit à l’égard du système bancaire. Dans un contexte de taux fixes très bas, d’une progression fortes des encours, d’un niveau de prix élevé des biens, l’autorité de régulation a tout simplement peur qu’en cas de retournement, les banques se retrouvent en crise de liquidités et ne puissent pas refinancer leurs encours.

Si je prends les perspectives favorables, car il y en a de nombreuses malgré mes propos précédents, je retiendrai que le niveau de taux ne peut pas rebondir fortement. Ceci est dit sous couvert de l’absence d’un  évènement important et non corrélé au système économique : conflit mondial, événement climatique majeur, catastrophe…. D’un point de vue macro, les personnes le plus endettées sont…les états eux-mêmes. Le service de la dette ne pourrait pas supporter une remontée rapide et forte du coût de l’argent, sauf à créer une implosion des marchés internationaux. Ensuite, sur le plan des taux domestiques, rappelons que le consommateur est doublement protégé : l’endettement privé est contracté à taux fixe pour plus de 95% des encours, et le dispositif du taux d’usure joue comme un matelas à la baisse mais surtout à la hausse. Cela peut d’ailleurs freiner la distribution de crédits également pour les banques. Mais dans le cas d’espèce, c’est une sécurité incroyable pour les ménages.

2022, année électorale

Le contexte sanitaire, les élections : autant d’inconnues dans l’équation ?

Tu as raison, Eric, de rappeler le contexte particulier de cette année 2022. Les élections présidentielles, les élections législatives dans la foulée, les inconnues liées au Covid. Je me permettrai d’ajouter l’atonie du marché du Neuf dans l’Immobilier qui donne le diapason à la primo-accession et qui nécessite de respecter des cycles longs (3 à 5 ans) pour changer de paradigme. Sur ce sujet, je ne suis pas devin et je ne voudrais pas faire figure de prédicateur. Mais je suis fondamentalement optimiste et certains points me permettent de l’être réellement. Sur le plan de la santé, si à l’heure où on échange on est face à une vague importante d’hospitalisations, on doit aussi observer que la courbe de mortalité est par contre à son plus bas. Ce qui signifierait que d’une part la vaccination a sans aucun doute œuvré pour al limitation des formes graves, mais aussi – et c’est un espoir sans certitude ni connaissance médicale pointue de ma part- c’est que le variant Omicron pour plus contagieux qu’il est n’en est pas plus létal. Certains médecins pensent même que ce pourrait conduire à une forme de contamination pouvant aller jusqu’à une forme d’immunité collective. Je n’avance pas plus sur ce terrain très délicat et polémique, mais je le prends comme un espoir.

Pour ce qui concerne les élections, je pense que si c’est une opposition au gouvernement actuel qui gagne les élections, il y aura un plan de croissance qui sera mis en place. Bon ou mauvais, pérenne ou dispendieux, je ne me permettrais pas de qualifier cela. Mais du coup, il y aura un besoin de marquer les esprits. Si le courant politique actuel demeure aux commandes du pays, les sujets du logement vont forcément être une priorité affichée dans la rénovation et dans la recherche d’une accalmie sociale, passant par l’ancrage immobilier, tout en respectant les engagements écologiques et de développement durable, incontournable pour tous les courants politiques de toute façon. On va donc penser autrement.

Et puis enfin, côté bancaire, les mutations des réseaux et des organisations, tant en termes de de technologie que de rentabilité, vont occuper les sphères financières. Mais la banque de détail aura toujours besoin de clients nouveaux pour les fidéliser et pour générer des profits. On voit bien que les objectifs affichés par les grands acteurs du prêt immobilier sont pour 2022 tous révisés à la hausse. C’est qu’ils ont confiance. Et sans doute le recours aux Intermédiaires va être ravivée, même si ce sera avec une  rémunération diminuée.

Réforme du courtage : création d’ENDYA

2022, c’est aussi une année importante pour le courtage bancaire et le courtage en assurance : l’entrée en vigueur de la réforme du courtage ! Quelles sont les ambitions d’ENDYA [ndlr : l’association commune APIC / Planète CSCA / GCAB] ?

Oui. L’accouchement de la réforme a été compliquée jusque ces derniers jours puisqu’on a eu les décrets avec plus d’un mois de retard, tandis que la date de mise en place a, elle, été maintenue au 1er avril 2022. C’est d’ailleurs faux, car comme les associations agréées doivent pouvoir disposer d’un délai de réponse aux demandes d’adhésion, et que les nouveaux entrants sur le marché devront fournir une attestation d’adhésion dès le 1er avril, cela normalement devrait signifier que les associations soient opérationnelles dès fin février 2022. ENDYA est le fruit d’une collaboration entre trois organisations professionnelles leaders chacune sur leur cible d’adhérents. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour d’autres associations, bien au contraire. D’une part, il serait prétentieux de le penser. D’autre part, la DGT ne le souhaitait pas. Enfin, on adhère à une association professionnelle parce qu’on y trouve une réponse à ses attentes et une coïncidence de valeurs. Les autres associations professionnelles qui ont déposé ou vont déposer des demandes d’agrément sont des concurrents pour ENDYA mais avant tout des confrères. L’esprit d’ENDYA est d’accompagner les acteurs concernés par le champ de la Réforme au travers une gouvernance indépendante, avec des services utiles à la montée en puissance du marché dans sa reconnaissance auprès des autres intervenants de nos professions, et surtout pour proposer une gamme complète d’accompagnement quel que soit le champ d’activité du courtier ou de ses mandataires. Car nous sommes convaincus que l’avenir se construira avec bon nombre d’acteurs multi-marchés. Et pouvoir trouver en un même espace des compétences et des références sur tous les marchés peut être un atout fort.

Dans le communiqué de presse annonçant la création d’ENDYA et le dépôt du dossier de candidature auprès de l’ACPR, je cite : « nous attendons son retour [de l’ACPR] d’ici fin mars 2022 ». Mais l’entrée en vigueur de la réforme, c’est bien toujours le 1er avril prochain ? Ça va « faire juste », non ?

Oui, nous avons voulu être prudents sur la date effective de démarrage d’ENDYA. Tout d’abord parce que la décision ne nous appartient pas. L’ACPR n’a pas souhaité réviser son délai de réponse de trois mois. Comme nous venons de déposer le dossier, nous avons juste fait un calcul. Et nous n’avons déposé notre dossier que là parce que s’agissant de notre projet, il s’agit d’une création ex-nihilo, et que nous avons travaillé – et travaillons encore- pour proposer aux acteurs du marché une offre à la hauteur de leurs attentes.

Merci Bruno pour ton éclairage ! Souhaitons ensemble une très belle année à tous les professionnels de l’intermédiation !