Pour cette occasion, Eric Debese et Laurent Denis échangent (brièvement) et sans concession à propos de cette analyse… plutôt décapante.

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Entretien réalisé le lundi 10 septembre 2018.

Eric Debese : Laurent bonjour. Tu viens de diffuser un document d’une quinzaine de pages avec l’objectif de faire le point (détaillé) sur la banque (de détail) française. Pourquoi entrer dans le détail ?

Laurent Denis : bonjour Eric. Tout est dans le détail et j’épargne ici aux lecteurs de Made In Courtage les inusables citations sur l’importance des détails. Chacun pourra ainsi activer son imaginaire. Rassurante, la communication officielle bancaire massive est finalement inquiétante. Il y a une forme de nécessité à diffuser d’autres points de vue, d’autres analyses, d’autres rappels des faits, que ceux habituellement proposés. Un document de réflexion étaye l’analyse et permet ainsi à chacun de se faire sa propre idée. Les sources mentionnées sont insérées et accessibles. Sa lecture ne prend que dix minutes.

ED : pourquoi proposer cette analyse en septembre 2018 ?

LD : nous sommes tous, cette semaine, assaillis par le rappel de l’anniversaire des dix années de la crise de 2008. J’ai souhaité diffuser cette réflexion sous la forme d’une Lettre trimestrielle spéciale d’Endroit Avocat, avancée d’une quinzaine de jours pour simplement coller à cette très importante actualité. Il est primordial de ne pas oublier ce qui s’est passé. A partir d’éléments factuels d’économie bancaire, en rappelant l’Histoire, en soulignant les faits saillants de l’année 2018, se dégage une conclusion simple : le modèle français de la banque de détail prétendument universelle, en réalité totalitaire, est non seulement nuisible à notre économie, mais de surcroît, inadapté aux enjeux bancaires actuels.

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Septembre 2008 – une crise d’une ampleur mondiale

ED : une telle conclusion n’est-elle pas trop rude ?

LD : la question n’est pas de savoir si elle est rude ou aimable ; elle est de savoir si elle est juste et utile. Le déni, réaction classique face aux difficultés, ou compagnon de l’habitude, n’offre aucune chance de progresser. Les louanges du système émises par le système lui-même sont dissonantes. Contester la validité du modèle de banque universelle ouvre une voie productive pour améliorer le système bancaire, dans son ensemble.

ED : Laurent, tu as la particularité, comme beaucoup de courtiers, d’ailleurs, d’avoir travaillé directement dans la banque, comme salarié. N’est-ce pas facile de critiquer à présent ?

LD : j’assume mon passé bancaire, source de nombreuses joies. Je reste profondément attaché à l’activité bancaire, dans ses plus hautes qualités. J’ai personnellement assisté au délabrement que chacun peut constater et je l’ai même vécu. L’utilité de l’économie bancaire n’est absolument pas en doute. Ses difficultés ne sont jamais un sujet : quel étonnement. A croire qu’elle n’en a pas. Quant aux actions pour améliorer la banque française, elles sont inexistantes. La “transition bancologique” devrait être un sujet fort.

ED : alors n’est-ce pas un objectif trop ambitieux que de vouloir dépeindre l’état de la banque française en 2018 ?

LD :  mais oui, d’évidence, un tel but est ample. Surtout, il est refusé à de simples piétons. Nous prenons cette liberté. Le document comporte trois parties : l’une pour constater, faits à l’appui, la disparition de la banque coopérative. L’autre pour constater, toujours faits à l’appui, la mort clinique du modèle général de la banque de détail française, la banque dite universelle. J’ai trouvé utile de rappeler, d’une part, les origines de ces concepts ; et d’autre part, de décrire ce comment la crise de 2008 les a démolis, en dix années de développements.

ED : au siècle passé, “tailler une banque” signifiait jouer seul aux cartes contre tous les joueurs. Tu tailles la banque de détail ?

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LD : personne ne réclame plus la soupe bancaire au menu quotidien. Et la réalité est parfaitement perçue par beaucoup de professionnels, et par les clients. Ce sont des collectifs importants. Surtout, la prise de conscience de la réalité de notre économie bancaire est salutaire. Les IOBSP qui subissent souvent les caprices des établissements bancaires peuvent difficilement les dénoncer. Et après avoir taillé, il faut souvent coudre. La troisième partie du document décrit ou rappelle les actions précises qui aideraient le secteur bancaire français à se redresser plus vite.

ED : d’où peuvent venir les impulsions pour accompagner les évolutions que tu suggères ?

LD : il s’agit d’accélérer des évolutions déjà présentes. Le vrai drame, c’est l’inertie, la passivité. En espérant ne pas passer pour trop “juridico-centré”, il s’avère que le Droit peut jouer un rôle essentiel dans cette accélération. Car la norme contient une puissance de contrainte. Anecdotiquement, quant le gouvernement propose une mesure (Ndlr : Laurent évoque le plafonnement des frais de découvert) et qu’il fait appel à l’auto-régulation bancaire, il se trompe lourdement de chemin. Encore faut-il déblayer les obstacles qui s’opposent au développement des normes.

L’économie bancaire au sens le plus large doit devenir un sujet d’analyses, de points de vue, de contradictions, de suggestions d’améliorations. De débats. Donc de maturité pour tous les publics. Un site comme Made In Courtage aide positivement à favoriser la pensée collective de professionnels en réalité très isolés.

ED : justement, que peuvent faire les courtiers, et les intermédiaires en général, face à la situation que tu décris et aux suggestions que tu formules ?

LD :  les courtiers contribuent déjà à l’amélioration du système bancaire. Personne ne le conteste, même parmi les diffuseurs assidus de la pensée bancaire dominante, celle des établissements de crédit. Je connais pourtant quelques établissements de crédit, rares, souvent régionaux, qui ont conscience de la nécessité de formuler et de proposer un autre modèle bancaire.

Je rappelle la nécessité de réformer en profondeur le Droit de la distribution bancaire. Les courtiers, d’abord, ont tout intérêt à bien jauger le système bancaire dans lequel ils évoluent. De manière pratique, pour prendre un exemple, il va leur falloir prendre davantage en mains les conventions passées avec les banques. Individuellement, c’est difficile ; le sujet peut évoluer si les courtiers l’abordent fortement et surtout, collectivement. Il est à présent parfaitement anormal que des conventions aussi importantes pour l’équilibre bancaire soient totalement laissées à la main des banques, sans cadre juridique, sans recommandation des pouvoirs publics. Les IOBSP reçoivent, à juste titre, des règles de bonne conduite dans leurs relations avec les clients ; et même, avec les banques. Il est indispensable que les banques reçoivent des règles de bonne conduite dans leurs relations avec les courtiers et avec tous les intermédiaires. Nous verrons bien si ce sujet d’évidence suscite des initiatives publiques.

La prise de paroles des courtiers est nécessaire. Toutes les occasions de parler sont bonnes pour que ceux-ci appellent l’attention sur quelques points essentiels de réforme. Les courtiers ne sont pas seulement des vendeurs de crédits ; ils participent à la transformation d’un système bancaire qui en a hautement besoin. Ils devraient davantage le revendiquer.

La banque française s’effondre en miettes devant nos yeux. La refonte ambitieuse du droit de la consommation et de la distribution bancaire peut l’aider à reprendre pied, au bénéfice de toute notre économie.

Eric Debese : Laurent, merci pour cet échange. Je rappelle que tu es avocat chez Endroit Avocat (www.endroit-avocat.fr), principalement au service des intermédiations, auteur d’ouvrages comme le “Droit de la distribution bancaire”, le “Panorama des IOBSP”, annuel, “Courtiers en crédits et IOBSP, défenseurs d’intérêts” et “Réussir son crédit immobilier” et enseignant.

Retrouvez l’intégralité de l’article de Laurent DENIS “la banque de détail française en 2018” en cliquant ici.